Héritages…

Jean-Pierre Han

9 mai 2024

in Critiques

Fille de roi, de et avec Sarah Llorca et Benoît Dugué. Spectacle vu à Charenton-le-Pont le 4 mai 2024. En tournée au Festivalet (Chilhac, 43), puis en juillet au tiers lieu Nouvelles Coordonnées (Fontaine-l’Abbé, 27), puis en 2025 au CDN ce Caen.

CREDIT PHOTO FRANCOIS-JOSEPH BOTBOL 3

On ne peut, a priori, qu’être favorablement disposé, avec beaucoup de curiosité, à l’égard d’une compagnie qui s’est donné le nom de « Hasard objectif »… De hasard objectif, justement, il est bel et bien question dans Fille de roi – un beau titre dans sa justesse d’expression – conjointement signé par la créatrice de la compagnie, Sara Llorca et Benoît Lugué. La relation, sinon le télescopage, entre le cas de la jeune Cordélia, la troisième des filles du Roi Lear, partageant son royaume entre ses trois héritières, et celui de Sara Llorca, issue d’une famille et ses multiples branches appartenant toutes à la sphère théâtrale, dans son rapport à son père-roi, Denis Llorca, comédien et metteur en scène emblématique à partir des années 1970, qui dirigea le Centre théâtral de Franche-Comté de Besançon, puis notamment le festival d’Alba-la-Romaine, et qui vient de disparaître en février dernier, cette relation entre le roi Lear et le roi Llorca avec Cordelia-Sara est on ne peut plus judicieuse et intellectuellement passionnante. Elle permet en tout cas, en toute simplicité, à Sara Llorca, tout comme à Cordelia, de dire l’amour qu’elles portent à leurs pères. Elle permet surtout à Sarah Llorca d’interroger les questions d’héritage et de filiation dans leur extrême complexité certes, mais néanmoins dans une traduction théâtrale d’une lumineuse simplicité.

Car, et c’est là une des réussites de la proposition théâtrale qui nous est offerte, quelque chose d’une parfaite juvénilité, celle d’une jeune femme à la grâce infinie clamant l’amour pour son père, lui rendant ainsi hommage (on entend sa voix enregistrée) tout en l’interrogeant sur ce qui pourrait être de l’ordre de sa responsabilité de père. C’est d’autant plus touchant (et juste) que Sara Llorca possède déjà, en dépit de son jeune âge, un passé théâtral déjà bien fourni en tant que comédienne, mais aussi en tant que metteure en scène, qu’autrice, porteuse de nombreux projets. Sa compagnie a été créée il y a plus d’une dizaine d’années, en 2012…

Le plateau de Fille de roi, sans être fait de « quelques planches et pas grand-chose », y ressemble quand même quelque peu : un tapis sur lequel est posée un malle contenant des costumes de scène « d’époque » qui une fois sortis seront suspendus à un porte-cintre après avoir été comme essayés, comme on essaye un rôle, une petite mallette et un micro sur pied pour Benoît Lugué… Fille de roi est conçu pour être joué (et il l’est) sur une scène de théâtre, un gymnase ou un autre lieu. Ce qui importe ce sont les pensées et les interrogations, les mises en demeure adressées au père-roi, les considérations sur la pièce de Shakespeare qui hante la metteure en scène-interprète depuis longtemps et qui n’hésite pas à revêtir les atours de Cordélia et à poser les mêmes questions à Lear… avec la complicité (les ponctuations) musicale – les accompagnements, terme à prendre au pied de la lettre – de Benoît Lugué.

Un beau moment qui a la pudeur de nous faire passer pour de la légèreté de graves interrogations sur la chaîne de nos existences.

Photo : © François-Joseph Botbol