Un moment rare

Jean-Pierre Han

20 avril 2024

in Critiques

Moman, pourquoi les méchants sont méchants ? De Jean-Claude Grumberg. Mise en scène de Noémie Pierre, Clotilde Mollet et Hervé Pierre. La Piccola Scala, jusqu’au 19 juin mardi et mercredi à 21 h 30, mercredi à 14 heures. Tél. : 01 40 03 44 30. www.lascala-paris.fr

Le texte est publié aux éditions Actes Sud.

LR05105003TO106873(2)

On aurait presque pu l’oublier avec les grandes fresques pleines de bruit et de fureur que l’on nous impose à longueur d’année, mais le théâtre, à bien y regarder, c’est plutôt simple. Quelques planches, pour figurer une sorte de cabane ou d’appartement, un castelet avec quelques voiles que l’on utilisera avec un art consommé au fil de la représentation, deux merveilles de comédiens, que l’on connaît et apprécie depuis longtemps, Clotilde Mollet et Hervé Pierre, et puis quand même et surtout le texte d’un authentique écrivain (de théâtre essentiellement), Jean-Claude Grumberg, pas bricolé sur le plateau comme on dit, mais écrit et pensé, avec une pointe de douloureuse ironie, un sens de l’humour discret et qui dit tout de la vie telle qu’elle va sans inutile discours… bref, voilà Moman, pourquoi les méchants sont méchants ? Un dialogue en plusieurs séquences entre une mère et son fils prenant appui sur ce que le titre suggère, car voilà bien le problème, « les méchants sont méchants », c’est comme ça dans le monde tel qu’il est et qui n’est pas franchement réjouissant. Mais il y a ce lien indéfectible, cet extraordinaire amour entre la mère et le fils unique, « Louistiti chéri » comme il est dit.

Ce n’est pas la première fois que Jean-Claude Grumberg évoque la figure de sa mère, jà dans son œuvre la plus connue, L’Atelier, plus précisément dans Maman revient pauvre orphelin, par exemple, mais pas que, elle est là toujours présente au fil de ses textes, au fil de sa vie, personne simplement remémorée ou de premier plan comme ici dans l’apparente rudesse d’un langage totalement réinventé. Car c’est bien là une des grandes qualités de ce spectacle, l’invention d’une langue – réjouissante – commune à la mère et à l’enfant dans une entente, une complicité de tous les instants pour se prémunir des douleurs de la vie sans doute, pour s’endurcir comme il est dit, car il le faut bien pour survivre. Pour surmonter l’absence du père, le manque d’argent pour se nourrir, la guerre, et autres désagréments de l’existence que le temps nous impose, mais l’amour, lui, y est toujours qui lie à jamais la mère et l’enfant. Et peu importe dès lors (c’est même le contraire) que Louistiti soit interprété par une comédienne, Clotilde Mollet, et la mère, Hervé Pierre, par un comédien… l’inversion de genre ajoute à la profondeur et à la pudeur de l’ensemble. Il y a dans ce spectacle une délicatesse face à un monde où, effectivement, les méchants sont méchants… Mais qu’importe, l’amour surmonte tout sans qu’il soit besoin de le clamer.

Au duo majeur – répétons-le –, l’entente, la complicité entre Clotilde Mollet et Hervé Pierre est totale, Noémie Pierre qui signe la belle, discrète scénographie les a dirigés avec tact avec l’appui des éléments sonores de Hugo Vercken, bref, un moment rare.

Photo : © Thomas O'Brien