Une histoire de fantômes

Jean-Pierre Han

10 mars 2024

in Critiques

Hamlet d’après Shakespeare. Mise en scène de Christiane Jatahy. Odéon-Théâtre de l’Europe. Jusqu’au 14 avril, à 20 heures, puis tournée. Tél. : 01 44 85 40 40.

Hamlet - 22-02-24 - Simon Gosselin 2-67

Hamlet femme, la proposition pour ne pas être nouvelle (on a eu le plaisir, il n’y a pas encore si longtemps de cela, de voir Anne Alvaro tenir le rôle dans une mise en scène de Gérard Watkins), s’affirme cette fois-ci résolument féministe. Reste que l’excellente Clotilde Hesme qui interprète le rôle-titre donne quand même en début de représentation à son personnage une allure androgyne… Mais c’est vrai que sur l’économie générale du spectacle, le focus est dirigé sur un trio composé des personnages de Gertrude (la mère d’Hamlet), d’Ophélie et donc d’Hamlet. Les autres personnages – masculins donc – disparaissant totalement ou étant quasiment réduits à l’état de… fantômes, ou à la limite, si on ose dire, de faire valoir au trio féminin, lequel n’est pas forcément automatiquement bien mis en valeur comme cette pauvre Ophélie, vieillie d’un seul coup d’une seul (c’est une bonne quadragénaire) et surtout privée de ses plus belles répliques (celle de Shakespeare). Question texte et répliques d’ailleurs on se demande pourquoi Christiane Jatahy, la signataire du spectacle, est allée demander à une respectable autrice, Dorothée Zumstein, de retraduire la pièce, étant donné qu’elle s’acharne durant les 2 h 15 que dure la représentation à la massacrer tout en conservant la presque totalité des mots du grand Will, mais en changeant la structure même de la pièce, en rajoutant aussi de ci de là ses propres et médiocres mots. Dans le même ordre idée on se demandera également pourquoi elle a fait appel comme conseiller à la dramaturgie quelqu’un de compétent comme l’universitaire Christophe Triau (voilà qui nous rappelle la présence récente de Bernard Pautrat auprès de Castellucci pour sa Bérénice…) si c’est pour réaliser strictement ce que, de prime abord, elle avait déjà en tête, du moins on le suppose.

La démonstration de Christiane Jatahy – c’en est donc une – est malheureusement plutôt plate. Pas sûr, dans ces conditions qu’elle serve vraiment son propos, alors même que sa revisitation des classiques (et même de Shakespeare avec Macbeth) n’est pas chose nouvelle pour elle, loin de là, alors que ses autres incursions vers l’Odyssée d’Homère ou vers des œuvres cinématographiques – La règle du jeu de Jean Renoir à la Comédie-Française, Dogville de Lars von Trier – ont été de moins en moins convaincantes, on assiste avec cette recomposition d’Hamlet à une sorte de descente en enfer. Avec toutefois quelques rares éclairs, comme le tout début et l’apparition du fantôme du père, Loïc Cobéry qui fut dernièrement le bel Hamlet de Simon Deletang au Théâtre du peuple de Bussang : drôle de passage du personnage en chair et en os à une grande et belle image. De fils en père décédé, le passage du temps est impitoyable ! Cette image, d’une certaine manière, donne le la de toute la représentation avec ses nombreuses figures évidées, fantômes d’entre les fantômes pour ne laisser place qu’à la forte incarnation de la mère (Servane Ducorps) dans le décor chic et choc signé par la metteure en scène, et dans lequel Clotilde Hesme finira quand même par trouver et clore sa prestation plutôt mal embarquée en début de spectacle.

Au total, c’est plutôt le spectacle qui est fantomatique.

Photo : © Simon Gosselin