L'art de Minyana

Jean-Pierre Han

7 mars 2024

in Critiques

Fantômes de Philippe Minyana. Mise en scène de Laurent Charpentier. Théâtre de la Ville-Sarah Bernardt (La Coupole), jusqu’au 9 mars à 19 heures. Tél. : 01 42 74 22 77.

FANTOMES_(c)_HERVE BELLAMY (3)

Fantômes, rarement titre n’aura aussi bien défini ce qu’il nous est donné de voir et de vivre sur la petite scène de la Coupole du Théâtre de la Ville. Dans sa brièveté, sans article et au pluriel, le terme nous renvoie à ce qui, d’une certaine manière, appartient à l’art de l’écriture et du théâtre où il n’est question que de fantômes, ces formes indéfinissables destinées à flotter un court instant avant de disparaître, temps contracté qui ne nous laisse que quelques traces au cœur et dans notre chair. A vrai dire c’est toute l’œuvre de Philippe Minyana qui pourrait être placée sous l’égide – le regard ? – du mot. Cette fois-ci l’auteur nous plonge d’emblée dans cet obscur paysage de fantômes, sans fard ou détour, et c’est admirable dans son apparente simplicité, dans ce temps, théâtral ici, issu d’un autre temps non défini, celui d’une écriture libre.

C’est un moment de convocation avec deux êtres chers, des amis, Laurent Charpentier qui a beaucoup théâtralement fréquenté l’auteur et Hugues Quester, le comédien que l’on connaît bien et qui possède la rare faculté de mener son auditoire dans un ailleurs trouble, entre présence et absence. À trois donc, avec complicité, ils convoquent des paysages et des figures disparues ou qui sont sur le point de disparaître, dissous au contact de l’air, ce qu’évoquent parfaitement les projections photographiques conçues par Hervé Bellamy avec la collaboration de Thomas Bouvet. Images-fantômes resurgies d’un amas de photos piochées – au hasard ? – de vieilles boîtes et recomposant des instants d’une vie d’autrefois, ailleurs. Avant de s’achever dans la brutalité du réel, « ta mère est crevée » est-il annoncé à la fin du spectacle, après qu’il ait été question de cela, tout au long du cheminement de l’évocation de cette vie d’antan, avec cette mère à l’incroyable beauté, qui finira par se suicider… À sa manière Philippe Minyana dans une langue, à nulle autre pareille, dans sa sensible musicalité – et que l’on reconnaît pour peu que l’on ait quelque peu fréquenté son œuvre – aura évoqué ces vies minuscules que l’oubli recouvrira très vite.

Ce jeu à trois (et bien plus avec les fantômes) mené dans une sorte d’a-temporalité laisse une sensation douce-amère, celle des rêves que l’on n’arrive pas à capter et qui s’évanouissent dès lors que l’on tente de les saisir. C’est l’art de Minyana qui est ici magnifié avec une infinie délicatesse.

Photo : © Hervé Bellamy