Une admirable nécessité
L’Événement d’Annie Ernaux. Mise en scène et interprétation de Marianne Basler. Théâtre de l’Atelier à 19 heures mardis et mercredis. Jusqu’au 27 mars. Tél. : 01 46 06 49 24. theatre-atelier.com
C’est à une réalisation théâtrale exceptionnelle dont nous gratifie Marianne Basler en nous présentant sa mise en scène et son interprétation de l’Événement d’Annie Ernaux. Exceptionnelle dans tous les sens du terme : rien de moins évident en effet que de vouloir faire théâtre d’un texte qui n’a en rien été conçu pour cela, même si c’est depuis longtemps monnaie courante que de tenter de réaliser ce type de quadrature du cercle. Mais, chez Marianne Basler, l’exceptionnel réside aussi dans la qualité de la réalisation de son projet liée à sa volonté qui rejoint celle de l’autrice de porter à la connaissance de tous ce que durent endurer les femmes en nécessité et volonté d’avorter il n’y a pas si longtemps que cela, depuis janvier 1975 seulement avec la loi Veil autorisant l’interruption volontaire de grossesse. Sujet majeur, il va de soi, d’autant qu’à y regarder de près, le combat n’est, dans les consciences, pas encore totalement – le sera-t-il jamais ? – gagné…
Au seul plan de l’écriture, dans la lutte d’Annie Ernaux concernant le droit des femmes pour lequel elle s’est toujours battue et continue bien sûr à le faire, encore faut-il préciser que son texte, qualifié de roman, n’a été publié qu’en 2000 alors que l’événement relaté se produisit en 1964 et que même la contraception n’a été autorisée qu’en décembre 1967… Roman ? Annie Ernaux narre avec la maîtrise sans fioriture et avec une force incroyable qui est celle de son art l’avortement qu’elle a voulu subir alors qu’elle n’était encore qu’une jeune étudiante de 23 ans, et qu’elle ne pouvait qu’en passer par là si elle voulait tracer le chemin de vie qu’elle avait choisi. En 2000, Annie Ernaux a 60 ans et une œuvre en cours certes mais déjà en grande partie constituée, elle revient donc sur cet événement qui lui a fait côtoyer la mort et qu’elle avait déjà évoqué très brièvement dans d’autres de ses œuvres comme Les armoires vides… Cette fois-ci l’événement est le sujet même de son livre ; il aura donc fallu près d’une quarantaine d’années pour en faire ce compte-rendu impitoyable jusque dans le moindre de ses détails et qui dévoile bien aussi l’état de la société d’alors toujours assise sur les différences de classe pas encore totalement disparues aujourd’hui.
C’est cette matière vive que Marianne Basler qui s’était déjà confrontée à l’écriture d’Annie Ernaux avec L’autre fille il y a quatre ans maintenant, nous livre. Les mots de l’autrice sont les siennes, elle endosse pour ainsi dire sa personnalité, jusque dans son apparence physique, cisèle dans une diction à couper au couteau ses paroles, évolue quasiment dans le même espace scénographique que dans son spectacle précédent, avec juste une table et une chaise, et le quadrille dans des déplacements rectilignes sobres. Elle y aura été aidée, une fois de plus, par Jean-Philippe Puymartin afin de ne rien laisser au hasard. C’est simplement admirable. D’une admirable nécessité En noir et blanc pour ce qui est du combat à mener.
Photo : © Pascal Gély