Éternelles francophonies de Limoges ?
"Les Francophonies, des écritures à la scène", se sont tenues cette année du 20 au 30 septembre.
Le 40e festival des francophonies en limousin devenu désormais, après plusieurs métamorphoses langagières, Les Francophonies, des écritures à la scène (Zébrures d’automne) s’est achevé fin septembre après dix jours d’intenses activités. Comme toujours, a-t-on envie d’ajouter, mais avec, en supplément, un sacré goût d’amertume. On aurait pu imaginer que l’anniversaire de cette 40e édition aurait été prétexte à un peu plus de festivités ; on en sera resté à son rappel dans le programme des éditos du Président des Francophonies, Alain Van der Malière et à son Directeur Hassane Kassi Kouyaté. C’est que, d’année en année, tout se passe comme si les deux responsables, et avant eux, leurs prédécesseurs, se battaient en pure perte et pour un résultat toujours plus décevant. En d’autres termes, et alors que l’on annonce avec grands effets médiatiques la création de la nouvelle Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts et du réseau actif constitué avec la Cité internationale des arts de Paris et La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, on a la désastreuse impression que les Zébrures d’automne, maintenue en respiration artificielle par Hassane Kassi Kouyaté et son équipe, est condamnée à se réduire comme peau de chagrin, la faute à un manque de moyens patent et une sorte de désintérêt des professionnels de la profession comme on dit.
Physiquement déjà cela se traduit par un repli vers la Maison des Francophonies qui abrite les bureaux de l’administration du festival sis près de la gare, et le déploiement – façon de parler étant donné l’exiguïté de la cour de la maison – d’une belle, mais très modeste tente berbère… Il est bien loin évidemment le temps où des chapiteaux du festival étaient installés en plein centre ville, le « périmètre francophone » est bel et bien jugulé. À son arrivée à la tête du festival Hassane Kassi Kouyaté avait réussi à dénicher une ancienne caserne (Marceau) pour y installer une grande tente-chapiteau et investir les nombreux lieux qu’offre le bâtiment. Ce ne fut qu’un rêve deux années durant jusqu’en 2021. Il fallut ensuite se contenter de petites tentes en plein centre ville, ce qui n’a pas été possible cette année, la place étant prise aux mêmes dates par une foire commerciale (!), et même si elle avait été libre son coût n’aurait pas permis aux Francophonies de s’y installer…
Tout cela est d’autant plus rageant au simple vu des deux créations majeures du festival. La première, Léa et la théorie des systèmes complexes, de Ian de Toffoli, mise en scène par Renelde Pierlot, est d’une certaine manière exemplaire dans sa production et son accompagnement. Aux Zébrures de printemps, l’auteur avait en effet présenté sur une heure de temps une formidable lecture de son texte, à la suite de quoi il était resté sur Limoges en résidence à la maison des auteurs du festival, pour aboutir à cette création (produite par les Théâtres de la Ville de Luxembourg, une première ici) cet automne. Le seul regret résidant dans le fait que Ian de Toffoli, par ailleurs également metteur en scène (de ses propres Terres arides, par exemple) n’ait pas souhaité s’y coller lui-même cette fois-ci : peur de s’affronter à sa propre saga épique se développant – on pense bien sûr aux Lehmann Brothers de Massimo Massini – sur cent trente ans narrant la résistible ascension de la famille Koch, industriels œuvrant, profits à foison plus que sonnant et trébuchant, dans le pétrole, alors qu’en contrepoint la jeune Léa lutte pour sauver la planète, par la violence si nécessaire ?… Même si la mise en scène de Renelde Pierlot pêche en maints endroits et ne rend pas totalement compte de la qualité du texte, c’est bien l’ensemble de l’opération aboutissant à ces représentations qui demeure exemplaire.
C’est le maître des lieux, Hassane Kassi Kouyaté, qui, en présentant Zoé de l’auteur québécois Olivier Choinière, aura fait preuve de la plus belle exemplarité. (La programmation était cette année axée sur les francophonies du nord, avec, sur les treize spectacles théâtraux, plus de la moitié venant du Canada et du Québec, productions obligeaient sans doute). Le travail de Hassane Kassi Kouyaté est en effet d’une totale réussite. Sur un sujet « brûlant », mettant en présence une jeune étudiante qui refuse de faire la grève qui sévit dans son établissement (individualisme assumé et revendiqué), et se retrouve seule face à son professeur de philosophie qui est, pour ainsi dire, réquisitionné par l’administration et par la jeune fille elle-même, va s’engager un dialogue très serré et… passionnant. Le texte d’Olivier Choinière développe cette maïeutique dans un décor minimaliste (Roger Vitrac parlait jadis de « trois planches et pas grand chose » pour faire du théâtre), deux petits bancs, quelques chaises et un tabouret, ce qui sera bien pratique pour une éventuelle tournée que l’on souhaite vivement. Surtout le duo est interprété par Patrick Le Mauff que l’on connaît bien (il a même été le successeur de Monique Blin à la tête des Francophonies) et la jeune Adélaïde Bigot, une vraie révélation issue de l’école du Théâtre de l’Union. Tout deux s’« entendent » pour le coup parfaitement bien, et jamais Hassane Kassi Kouyaté n’avait dirigé ses comédiens avec une telle subtile maîtrise.
Voilà ce que l’on attend des Zébrure d’automne, pour peu que la recherche de financement pour sauvegarder et transformer cette manifestation quarantenaire laisse le temps à ses dirigeants d’œuvrer dans le domaine artistique.
Photo : © Christophe Péan