Encore une victime de l'extrême droite
Edelweiss (France Fascisme), de Sylvain Creuzevault. Mise en scène de l’auteur. Festival d’automne, Odéon Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, à 20 heures. Puis tournée. Tél. : 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu
Dans l’immédiate suite de son travail sur l’œuvre monumentale (dans tous les sens du terme) de Peter Weiss, L’Esthétique de la résistance, Sylvain Creuzevault s’est attaqué à ce qui pourrait apparaître comme la parfaite antithèse de ce qui formait la matière du roman de l’écrivain allemand.
À l’histoire d’un jeune allemand traversant pendant huit ans à partir de 1937 les milieux clandestins antifascistes et communistes dans son pays, Creuzevault, dans son Edelweiss (France Fascisme), a décidé de travailler, sur les milieux d’extrême droite et fascistes en France pendant la même période. D’une certaine manière on pourrait donc légitimement parler de diptyque. À cette nuance près que si tel est le cas, force est de reconnaître qu’il est pour le moins déséquilibré. Pas seulement au plan du temps de son développement, Edelweiss, avec ses deux heures dix de spectacle, faisant même pas la moitié de la durée de L’Esthétique de la résistance. Mais surtout au plan de travail théâtral, pour la simple raison – pardon pour cette lapalissade – que Creuzevault n’est pas Peter Weiss, et que le premier résultat de ce constat concerne l’écriture, ou la non-écriture, d’Edelweiss. Même si dans le spectacle créé avec les comédiens du groupe 47 de l’école du TNS, le metteur en scène avait forcément taillé dans les mille pages du livre de Peter Weiss (pas toujours à bon escient comme dans tout ce qui concernait la description des rapports du personnage principal avec Brecht) restait une matière dramatique de premier ordre sur laquelle il pouvait s’appuyer. Tel n’est pas le cas dans Edelweiss où, au fil des séquences – car cela fonctionne ainsi, par petites séquences plus ou moins réussies, dans une sorte d’immense et pénible patchwork – s’entremêlent extraits de discours et de paroles des personnages « historiques », en un infernal défilé. De Robert Brasillach à Pierre Drieu la Rochelle en passant par Lucien Rebatet, Jacques Doriot, Marcel Déat, Pierre Laval et quelques autres comme Céline… Belle galerie de portraits qui reste une galerie, et ne fait pas une suite dramatique. Et c’est bien là où le bât blesse, dans la réalisation dramaturgique de l’ensemble. À croire que les séquences ont été travaillées les unes après les autres (et peut-être même pas dans cet ordre !) à charge ensuite au metteur en scène de les assembler pour en faire une composition plus ou moins cohérente. C’est un montage que Sylvain Creuzevault, « auteur » et metteur en scène, nous propose, pas une œuvre dramatique. À partir de là rien ne fonctionne correctement. C’est flagrant dans le jeu des comédiens qui s’en tirent comme ils le peuvent d’une séquence à l’autre. Leur metteur en scène, à très juste titre, les a dirigé en les défiant de toute interprétation « réaliste », préférant jouer la carte de la distance voire de l’humour et de la caricature. Reste que le jeu est délicat, et il faut tout le talent et l’intelligence d’un Pierre-Félix Gravière, par exemple, pour être dans la justesse de ce type d’interprétation, le risque étant de tomber dans le sur-jeu et la caricature ce qui ne manque pas, malheureusement, de se produire de ci, de là. On est d’autant plus peiné que l’on connaît par ailleurs le talent des comédiens de la distribution, avec mention particulière pour les trois comédiennes issues du groupe 47 et que Creuzevault avait dirigées dans L’Esthétique de la résistance (Juliette Bialek, Charlotte Issaly et Lucie Rouxel).
La critique la plus sévère concernant ce spectacle (raté, on l’aura compris), vient paradoxalement du dramaturge de l’équipe, Julien Vella qui, dans le dossier de presse, explique : « À nos yeux, ces textes (ceux des protagonistes de l’histoire repris dans le spectacle) ne répondent pas à un devoir de mémoire. Il est probable que rien ne justifie de les tirer de l’oubli, pas même le fait de les dénoncer, de les démonter ou de les ridiculiser publiquement. Il n’est pas sûr que l’on puisse les porter sur scène sans faire, malgré soi, le jeu du fascisme qui vient. En tout cas, on ne remue pas la merde sans se salir un peu les mains ». On ne saurait mieux dire…
Photo : © Jean-Louis Fernandez