Avignon off : Dans les méandres de la conscience amoureuse

Jean-Pierre Han

23 juillet 2023

in Critiques

J’aime de Nane Beauregard. Adaptation, mise en scène et jeu de Laure Werckmann. Artéphile, jusqu’au 26 juillet, à 19 h 35. Tél. 04 90 03 01 90.

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Disons-le d’emblée : dans le flot des productions du off qui, malgré leur apparente diversité, rebattent quand même les mêmes cartes à la mode d’aujourd’hui, le spectacle de, par et avec Laure Werckmann tranche singulièrement. C’est une étonnante et audacieuse proposition où la créatrice-directrice de la compagnie Luce Warrant semble assumer à elle seule toutes les fonctions – adaptation du texte de Nane Beauregard, dramaturgie, scénographie très élaborée (avec la collaboration d’Angéline Croissant), jeu – même si l’équipe de travail à la lumière (Philippe Berthomé) ou la musique (Olivier Mellano) joue aussi un rôle fondamental, voire minutieux, dans le spectacle. Une nécessité sans doute tant le texte de l’autrice dans l’ostensible simplicité s’avère en fait d’une extrême complexité. Il est composé d’une seule et même longue phrase de 80 pages dans le livre ; à l’adaptatrice-comédienne de trouver les points de respiration, ce qu’elle ne manque pas de faire avec beaucoup de subtilité pour donner corps et vie à ce que le titre annonce en toute simplicité : J’aime !

En réalité c’est un long voyage dans les méandres de la conscience amoureuse auquel nous convie Laure Werckmann. Un voyage non pas semé d’embûches, mais qui ne cesse de se développer en se modifiant avec beaucoup de subtilité et de finesse au moment même de sa profération du « j’aime » initial à la description – « qu’il ait un grain […], qu’il bouleverse ma vie […] qu’il admire… » qu’il fasse ceci ou cela, qu’il soit ceci ou cela… – Quelque chose de l’ordre du sentiment, dans l’ordre du discours qui se déplace subrepticement ; c’est en fin de compte le mystère du sentiment amoureux dans toute sa complexité et ses paradoxes voire ses contradictions qui est mis en jeu, et c’est tout cela que la comédienne, admirable dans son interprétation et ses attitudes, nous fait toucher du doigt dans un travail scénique de toute beauté. Un travail proposé entre deux blancs (ceux de la conscience ?) avec notamment le début du spectacle où le public attend la comédienne un long moment face au fauteuil vide, désespérément vide, alors qu’une « gardienne » raide et toute de noir vêtue, est postée sur le côté du plateau où « cela » va se dire et se jouer… Un moment rare.

Photo : © Adrien Berthet