La petite musique de nuit de Minyana

Jean-Pierre Han

6 décembre 2022

in Critiques

Nuit de Philippe Minyana. Mise en scène de l’auteur. Présenté au Théâtre des Quartiers d’Ivry du 26 novembre au 4 décembre. Tournée à partir de janvier 2023 à Chambéry, Avranche, Caen, Chelles…

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Le titre, Nuit, dans sa brièveté, renvoie à d’autres titres de l’auteur, tout aussi brefs, au hasard, Inventaires, Les Petits aquariums, Chambres, Une femme… Une brièveté – cela semble paradoxal – qui est parlante, et dévoile d’une certaine manière un coin de l’univers que Philippe Minyana entend aborder. Il est toujours question des petits riens de l’existence. Pas de grandes envolées, pas de grandes histoires linéaires cousues main, non, juste des « tressaillements » comme dit l’auteur. Mis bout à bout, ou plutôt les uns après les autres, s’entrecroisant parfois, se chevauchant… ils finissent par constituer ce que l’on pourrait appeler des existences. Nuit, c’est un peu ça, avec Gino (Florent Baffi) et Laura (Luce Mouchel), Édith (Sarah Biasini) et Carlos (Jérôme Billy), un quatuor qui n’aurait aucune raison dans le jeu des relations d’être là, ensemble ou pas ensemble, et le temps passe, et un beau jour, ils ont quatre-vingt dix ans ; la vie s’est écoulée. Là autour d’un cercle planté au beau milieu de la scène (le monde ?) – c’est un lac paraît-il – autour duquel passent en courant des joggeurs ou d’autres personnages, anonymes, promeneurs, grands parents, infirmière…

Tout cela sur fond de musique, et d’ailleurs ils leurs arrivent même à ces quatre personnages de pousser la chansonnette, plus même, le chant, Florent Baffi et Jérôme Billy sont chanteurs d’opéra… Sur la sphère du lac, Philippe Minyana dispose ses interprètes dans une belle horizontalité, belle figure géométrique avant que tout cela se mette à bouger, à casser les lignes. L’extraordinaire, c’est que le metteur en scène prend le relais de l’écrivain, forcément dans la même dynamique. Cela semble être une lapalissade, ce n’en est vraiment pas une ici. Il a bien appris Minyana auprès des nombreux artistes qui l’ont mis en scène, Françon, Cantarella, Giorgetti, di Fonzo Bo en tête, ne serait-ce que dans le choix de ses interprètes, tous dans une belle justesse, et qui s’en donnent à cœur joie. Il faut voir Luce Mouchel dans l’exercice de l’interprétation de la petite musique volontairement désaccordée de l’auteur, il faut voir Sarah Biasini et leurs camarades de plateau dérouler ces petits riens que la musique de Nicolas Ducloux, présent en fond de scène vient perturber ou prolonger.

Un réel travail d’orfèvre.

Photo : © Denis Mader