Théâtre de combat

Jean-Pierre Han

30 novembre 2022

in Critiques

Depois do silêncio (Après le silence) de Christiane Jatahy. 104, avec l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Jusqu’au 16 décembre à 20 heures, puis tournée. Tél. : 01 44 85 40 40. www. theatre-odeon.eu

Avec Depois do silêncio Christiane Jatahy clôt sa « Trilogie des horreurs » et s’éloigne des rives de l’Europe pour revenir sur ses terres brésiliennes. Retour bénéfique tant le premier volet de la trilogie, Entre chien et loup, une adaptation du film de Lars van Trier, Dogville, avait peiné à convaincre, alors que le second, Before the sky falls (Avant la chute du ciel) une adaptation du Macbeth de Shakespeare qui semble particulièrement intéresser la metteure en scène (elle y est revenue à diverses reprises), lée à un recueil de paroles du chaman amérindien Davi Kopenawa par l’anthroplogue Bruce Albert, œuvre qui n’a, sauf erreur de ma part, pas été représentée en France. Une même dynamique de recherche, en tout cas, avec ses hauts et ses bas, anime tout le parcours de Christiane Jatahy qui entend effacer les frontières ente le cinéma et le théâtre – au point, parfois, de faire quasiment disparaître le théâtre – et celles entre ce qui est de l’ordre de la fiction et ce qui appartient à la réalité qu’il s’agirait d’ailleurs de redéfinir.

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Si le combat politique et les projets de Christiane Jatahy ont toujours été clairement énoncés, en revanche, les moyens pour parvenir à ses fins n’ont pas, loin s’en faut, toujours été aussi clairs. Même dans cette dernière œuvre, Depois do silêncio pour en arriver à un état des lieux de la structure sociale de son pays, la metteure en scène et cinéaste passe par de nombreux détours ou accompagnements, historique notamment avec un retour à l’époque de l’esclavage, ou par des croisements avec deux œuvres, littéraire et cinématographique.

Retour historique donc et même géographique, puisque Christiane Jatahy est allée dans la région de Bahia, « dans le Brésil profond » dit-elle, « lié à l’histoire de l’esclavage et de l’exploitation de la terre ». Croisements et appui sur le roman d’Itamar Vieira Junior, Torto Arado, qui a connu un succès retentissant au Brésil, et qui raconte une histoire inspirée d’événements réellement vécus par les habitants de Chapada Diamantina (de la région de Bahia), et tout particulièrement l’assassinat d’un personnage inspiré par la figure de Joao Pedro Teixeira, un militant des ligues paysannes assassiné en avril 1962 à Sapé à l’instigation des propriétaires terriens de la région. Cet événement on le retrouve dans le film de d’Eduardo Coutinho, Cabra marcado para Morrer (Un homme marqué par sa mort) commencé deux ans après l’exécution du leader paysan, mais interrompu à cause de la dictature imposée en 1964. Couthino avait demandé aux protagonistes comme la veuve de Teixeira et ses 11 enfants, ses collègues… de venir rejouer leur propre histoire. Le film avait pu être achevé en 1980 lorsque Couthino était venu retrouver l’entourage de Teixeira pour les confronter aux images de ca qu’il avait déjà tourné. Christiane Jatahy filme à son tour les mêmes personnes dans les mêmes paysages, procède de la même manière que Couthino, mêle aux actrices ceux qui ont vécu l’événement « en direct », leur demande de rejouer des épisodes de la fiction romanesque et de la réalité…

Quelle forme donner à cette triple matière autour d’une même et unique pensée ? C’est à ce stade que Depois do silêncio peut être considéré de manière positive. Christiane Jatahy invente un dispositif particulier qui fonctionne entre théâtre, musique et cinéma. Ce qu’elle réalise « pour de vrai », le vrai de la réalité théâtrale, avec trois comédiennes, Gal Pereira, Lian Gaia et Juliana França, accompagnées du musicien Aduni Guedes, embarqués dans une vraie-fausse conférence directement adressée au public, sonne juste et fort. Le message – politique – passe, malgré l’extrême et très subtile complexité du dispositif que l’on a parfois du mal à vraiment décrypter.

Photo : © Nurith Wagner-Strauss / Wiener Festwochen