AVIGNON IN : Dans la lignée des grandes interprétations de Richard II

Jean-Pierre Han

25 juillet 2022

in Critiques

Richard II de Shakespeare. Mise en scène de Christophe Rauck. Festival d’Avignon in. Gymnase du lycée Aubanel. Jusqu’au 26 juillet à 18 heures. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

Richard II dans l’œuvre de Shakespeare préfigure une série de pièces historiques de l’auteur, notamment celles de Henri IV en deux parties et de Henri V. Dans l’histoire du Festival d’Avignon, elle ponctue – et de quelle manière ! – son déroulé. Avec sa création (elle était alors inédite en France) pour l’ouverture du festival en 1947 par Jean Vilar qui interprétait lui-même le rôle-titre, sa formidable affirmation avec Ariane Mnouchkine et son Théâtre du Soleil dans la Cour d’honneur en 1982, puis avec Jean-Baptiste Sastre, toujours dans la Cour d’honneur, cette fois-ci avec Denis Poldalydès dix-huit ans plus tard, avec le reste de la distribution tout aussi forte que celle que propose aujourd’hui Christophe Rauck descendue au gymnase Aubanel… Un autre espace que gère de manière habile le scénographe Alain Lagarde (avec deux blocs de gradins mobiles qui suggèrent qu’ils pourraient accueillir les spectateurs que nous sommes, car on assiste bel et bien au spectacle de la chute du roi Richard II) ; la sombre splendeur de l’ensemble y est… On remarquera au passage – ce n’est pas si anodin que cela – que les quatre mises en scène de la pièce auront été le fait de quatre traducteurs différents, le dernier en date donc étant l’œuvre de Jean-Michel Desprats, grand spécialiste de Shakespeare, et sans doute le plus fidèle à l’original.

Par-delà la réalité politique développée et toujours un peu difficile à suivre pour les spectateurs français que nous sommes aujourd’hui (l’histoire de l’Angleterre il y a huit siècles est un peu loin et notre appétence pour ce qui se passe hors de nos frontières est bien connue…), d’ailleurs Shakespeare lui-même va aussi très vite sur la question. Reste que Christophe Rauck, c’est la première qualité de son spectacle, a le bon goût de rendre les choses parfaitement claires : de ce point de vue la première scène est une réussite et donne le la de l’ensemble qui se perdra cependant – ou s’ouvrira théâtralement, c’est selon – dans la deuxième partie sans que l’on en sente l’absolue nécessité. Mais au moins les choses sont-elles bien exposées, elles le sont d’autant mieux que le metteur en scène a réuni une distribution de premier ordre autour de la personnalité lumineuse de Micha Lescot, Richard II à la longue silhouette toute de blanc vêtue et qui parvient avec une absolue rigueur à rendre compte de la complexité du personnage, de ses multiples et très ambigus aspects. Face à lui Éric Challier impose un Bolingbroke (le futur Henri IV) d’une force d’un seul tenant : le duo dans son affrontement et la passation de pouvoir en période de crise est étonnant. Le reste de la distribution (Cécile Garcia Fogel dans le rôle de la Reine – la scène de séparation entre elle et Richard II est un grand moment –, Guillaume Lévêque, Thierry Bosc…) est au niveau et contribue à faire fonctionner l’infernale mécanique du pouvoir.

Micha Lescot voulait à son tour investir le rôle de Richard II : Christophe Rauck n’a pas hésité longtemps avant de le lui confier en montant la pièce. On ne peut que s'en réjouir.