Le réel en question

Jean-Pierre Han

16 juin 2022

in Critiques

Smog de Claire Barrabès. Mise en scène de Pauline Collin. Théâtre de la Tempête jusqu’au 19 juin à 20 h 30. Tél. : 01 43 28 3 6 36.

Le moins que l’on puisse dire c’est que Claire Barrabès à l’écriture et Pauline Collin à la mise en scène, sa première, jouent cartes sur table. Les deux jeunes femmes qui ont une formation de comédienne – la précision est importante, et d’ailleurs Claire Barrabès fait partie de la distribution – ont travaillé de conserve et attaquent de front l’une des questions qui hantent le théâtre (et de manière plus générale les arts) d’aujourd’hui, celle de sa relation avec le réel. Ici à travers l’appréhension, et la narration, du fait divers. Elles le proclament à l’envi, que ce soit dans les documents qu’elles ont été amenées à produire, et plus encore sur le plateau. Rien d’étonnant si le prologue qui se donne en plein air n’est que la reconstitution très réaliste d’une scène de découverte de meurtre telle que l’on a pu en voir jusqu’à satiété dans maintes séries télévisées ou, avec plus de moyens sur grands écrans. Cette mise ne bouche étant exécutée, place au théâtre, et au vrai travail de plateau, avec des « vrais » comédiens et un « vrai » texte. Merci d’ailleurs à Claire Barrabès et à Pauline Collin de nous éviter la sempiternelle tarte à la crème des écritures de plateau qui précède souvent celle du collectif, et de prendre leurs vraies responsabilités d’autrice et de metteure en scène.

On a beau nager au plan de l’intrigue, car intrigue policière il y a bel et bien, en plein « smog », il y a dans le dessin du spectacle une véritable précision. Pauline Collin travaille au plus près de ce qu’elle a décidé de mettre en place et d’interroger. Car si la question du fait divers est posée d’emblée, si c’est de ce crime et de la recherche de l’assassin dont il s’agit (il est précisé que ce Smog est un polar théâtral), si nous naviguons bien dans cette intrigue on ne peut plus réaliste, ce qui est passionnant dans le travail de la metteure en scène, c’est la manière dont elle interroge et pousse le réalisme à son extrême limite, à deux doigts de le faire voler en éclats. Drôle de réel dont l’intérêt réside dans ses fissures et dans la manière dont Pauline Collin entend le mettre à plat. Dans cette démarche il va de soi que le jeu des acteurs – ils ne sont pas moins de neuf sur scène – acquiert une importance capitalissime. Or Pauline Collin a justement choisi de faire appel à Stéphanie Marc, une comédienne experte en ce qui concerne le très subtil jeu du passage d’un état à un autre, dans un constant état de tension entre rire et larme. Un tempérament d’une force inouïe qui entraîne pour le meilleur toute la troupe composée de Barbara Atlan, Laurie Barthélémy, Claire Barrabès donc, Florent Dupuis, Quantin Gratias, Lison Rault, Frédéric Roudier et Sylvère Santin.

Une démarche périlleuse, pleine de chausse-trappes, à suivre.