La vie telle qu'elle va… mal ?

Jean-Pierre Han

19 mai 2022

in Critiques

Kliniken de Lars Noren. Mise en scène de Julie Duclos. Odéon-Théâtre de l’Odéon. Jusqu’au 26 mai à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40.

Une tranche de vie sans début et sans fin – commencée avant que les spectateurs ne viennent prendre place dans la salle, et qui pourrait tout aussi bien se poursuivre après les applaudissements saluant la prestation des comédiens –, mais une tranche de vie particulière, celle concernant un établissement psychiatrique dans lequel, c’est une bonne idée, on ne verra pas le personnel soignant en blouses blanches. C’est signé Lars Noren qui fit lui-même dans sa jeunesse la douloureuse expérience d’enfermement dans ce type d’établissement. Cela ne confère pas forcément un surcroît de qualité à la pièce qui est loin d’être la meilleure de l’auteur, souffrant de redites (ce qui, me dira-t-on, est normal étant donné le caractère obsessionnel des protagonistes !), et de quelques longueurs. Mais qu’à cela ne tienne, Julie Duclos s’empare hardiment de la matière jadis, il y a une quinzaine d’années, révélée en France par Jean-Louis Martinelli (qui avait d’ailleurs mis la main à la pâte de la traduction), avec quelques légers aménagements et « réactualisation ». Et hormis une utilisation de la vidéo qui ne sert franchement pas à grand-chose et parasite plutôt l'ensemble, dans une belle scénographie signée Mathieu Samper – une sorte de grand hall avec en arrière-plan une baie fermée donnant sur une sorte de patio où l’on peut fumer ; on pourrait se croire dans un grand hôtel ou une paisible maison de repos, parfait no man’s land entre rêve (ou cauchemar) et réalité – Julie Duclos parvient à faire vivre avec délicatesse cette sorte de communauté qui n’en est pas une, puisque chacun est en fait engoncé dans ses propres troubles. Grand bal de solitudes qui se croisent, se rapprochent, s’éloignent. À ce stade la metteure en scène règle parfaitement la circulation de ses douze patients à qui la mère de l’un d’entre eux – pas le moins agité – vient rendre visite. Mais surtout, et c’est vraiment là la première de ses qualités, elle les dirige avec doigté, discrétion mais fermeté (ce dont on s’était déjà rendu compte dans son précédent spectacle, le très réussi Pelléas et Mélisande de Maeterlinck). Avec ce type de sujet, celui évoquant la folie, le danger est toujours grand de tomber dans les caricatures et les clichés. Rien de tel ici, Julie Duclos évite l’écueil et « tient » ses comédiens. Cela donne à l’ensemble une colorature presque mélancolique. Sous la houlette de leur metteure en scène les comédiens – il faudrait tous les citer – évitent tous les dangers et déroulent donc le fil du temps : il y a quelque chose, malgré quelques éclats de certains de ces reclus de la vie, d’un ordre presqu’intimiste…

Lars Noren n’aura pas vu cette deuxième version de sa pièce en France : il s’en est allé il y a un peu plus d’un an.