Plaisante noirceur

Jean-Pierre Han

13 mai 2022

in Critiques

George Dandin de Molière. Mise en scène de Michel Fau. Théâtre de l’Athénée. Jusqu’au 29 mai à 20 heures. Tél. : 01 53 05 19 19. athenee-theatre.com

À force on avait fini par oublier que George Dandin, à son origine, était une comédie-ballet. La faute à une lecture très politique de la pièce initiée avec intelligence par Roger Planchon dès 1966, (il en fit plusieurs mises en scène et même un film), George Dandin devenant sous sa direction une sorte de Lehrstück brechtien. Dans cette lignée, mais déjà largement aménagée, on se souviendra aussi de la version donnée plus récemment, en 2018, par Jean-Pierre Vincent. À poursuivre le voyage temporel nous arrivons aujourd’hui à la proposition de Michel Fau qui a décidé de remettre, historiquement, les choses à leur juste place. Nous voici donc dans le somptueux rappel des fastes des grands divertissements du temps de la Cour du roi Soleil, et très particulièrement pour cette comédie-ballet, avec ici un quatuor de chanteurs (soprano, ténor et baryton), et l’orchestre (l’ensemble Marguerite Louise qui interprète la musique de Lully) dirigé par le claveciniste Gaétan Jarry. Costumes ad hoc, toujours dans le rappel de l’époque, signés Christian Lacroix, le tout dans l’écrin du théâtre de l’Athénée aménagé par Emmanuel Charles… bref tout est en place pour une fidèle reconstitution de la comédie-ballet.

On aura compris que l’approche de Michel Fau, metteur en scène et acteur principal de la pièce, diffère quelque peu de celles de ses grands prédécesseurs cités un peu plus haut. Et pourtant, alors même qu’il entend jouer sur le côté farcesque de l’œuvre, mais en ne négligeant pas non plus son aspect frôlant parfois le tragique – délicat mélange – le texte apparaît dans une extrême violence. Qui laisse pantois, comme elle laisse pantois en sa toute fin son personnage principal qui n’a plus qu’à « s’aller se jeter dans l’eau la tête la première. » Violence et noirceur en parfait contraste avec la pastorale qui enserre l’œuvre, rendant celle-ci encore plus noire qu’elle ne l’est dans sa structure même. À Michel Fau donc, grand acteur s’il en est, de jouer le jeu si on ose dire. Il le fait en toute rigueur et intelligence dans son délire même (car c’en est un dans l’obstination de faire reconnaître à tout prix le marché de dupe auquel il a été victime : il y a eu tromperie sur la « marchandise »). Tout y est dans sa mise en scène, qui série parfaitement les différents registres qui apparaissent et composent la pièce axée sur la déconvenue du paysan ayant fait l’erreur de vouloir s’élever au rang de la noblesse. Avec la farce avec les servants du couple, la revendication féministe d’Angélique, la jeune femme « vendue » au riche paysan, etc., avec la place centrale qu’occupe la thématique de l’argent (George Dandin a été composé la même année que l’Avare)… Il y a là une simplicité de bon aloi qui rend les différents niveaux de la pièce parfaitement clairs. Ce n’est pas là la moindre de ses qualités. Le tout est bien réglé, avec une distribution qui joue parfaitement la partition proposée, des Sottenville (Philippe Girard et Anne-Guersande Ledoux) à Angélique (Alka Balbir), projecteur toujours braqué, au centre de la scène, sur la figure de Dandin-Michel Fau.