Éternel monde du travail

Jean-Pierre Han

10 octobre 2021

in Critiques

Huit heures ne font pas un jour de Rainer Werner Fassbinder. Mise en scène de Julie Deliquet. CDN de Saint-Denis-Théâtre Gérard Philipe. jusqu’au 17 octobre à 19 h 30.

www.theatregerardphilipe.com

On ne pourra guère reprocher à Julie Deliquet, la nouvelle directrice du CDN Gérard-Philipe de Saint-Denis, de ne pas avoir de la suite dans les idées. Dans son dernier spectacle, Huit heures ne font pas un jour, à son habitude désormais, elle adapte pour la scène une œuvre signée Rainer Werner Fassbinder cette fois-ci, écrite et filmée pour le petit écran. Après Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman et Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin… Mieux, elle reprend son dispositif scénique établi – en général autour d’une grande table autour de laquelle s’agitent ses comédiens – dès ses premiers pas avec la Noce (chez les petits bourgeois) de Brecht, puis avec Nous sommes seuls maintenant ou même avec Vania d’après Tchekhov. Surtout, avec son noyau dur constitué de comédiens de son collectif, In Vitro, et avec le renfort d’aînés de talent comme Evelyne Didi ou Christian Drillaud, elle fait évoluer tout ce beau monde en groupe de manière chorale, dans un jeu qui se veut le plus réaliste possible – on fait comme si on était dans la vie et que l’on ne jouait pas – Bis repetita de spectacle en spectacle à tous les niveaux donc, c’est peut-être un style après tout !…

Le rythme ici est donné par l’alternance et l’entremêlement de scènes intimistes – l’histoire d’un jeune couple, de la rencontre des protagonistes à leur mariage – à des scènes de groupe, familial et de travail, et à la naissance de l’idée d’autogestion puis à ses débuts de réalisation dans l’usine qui emploie le personnage principal incarné par Mikaël Treguer (le jeune ouvrier) issu comme quelques-uns de ses camarades de plateau de l’École de la Comédie de Saint-Étienne. Un authentique feuilleton (c’en était d’ailleurs un à la télévision !), plongé dans un bain d’optimisme un rien idéaliste : cela se passe chez Fassbinder dans les années 1970 en Allemagne. Cette fiction dramatique de l’époque réagencée par Julie Deliquet elle-même, avec le concours de Julie André et de Florence Seyvos, à partir de la traduction de Laurent Mulheisen, n’est pas sans rappeler Les Vivants et les morts de Gérard Mordillat qu’avait mis en scène il y a plus d’une dizaine d’années par Julien Bouffier. Dans le monde ouvrier le monde n’a guère changé.

D’un texte foisonnant le trio d’adaptatrices, même en ne présentant que 5 épisodes de l’ensemble de l’œuvre de Fassbinder, a dû couper dans le vif, pour notamment mieux braquer les projecteurs sur le jeune couple interprété par Mikaël Treguer et Ambre Febvre, et présenter ainsi un axe dramatique plus clair. Sans doute auraient-elles pu aller plus loin encore, le spectacle souffrant, surtout dans la première partie, de longueurs et de redites. C’est un mince reproche au regard de la réussite de l’ensemble porté par une distribution sans faille, jouant dans le registre évoqué plus haut, et alors que retrouver Évelyne Didi dans son rôle de composition de la grand-mère est un vrai bonheur.