Mystères pirandelliens

Jean-Pierre Han

7 octobre 2021

in Critiques

Comme tu me veux de Luigi Pirandello. Mise en scène de Stéphane Braunschweig, Odéon Théâtre de l’Europe jusqu’au 9 octobre à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu

Comme tu me veux de Pirandello est une pièce particulière dans l’œuvre du dramaturge italien. Non pas que son sujet diverge des thématiques de son œuvre théâtrale, bien au contraire, elle les porte pour ainsi dire à leur acmé, créant un trouble qui ne s’efface pas après une dernière réplique émise par une folle dont on continue à ignorer la véritable identité. Mais, c’est la seule pièce à se dérouler en partie hors de l’Italie. Ce qui ne serait qu’anecdotique si l’on ne précise pas qu’elle se passe en partie en Allemagne, l’Allemagne des années 1929 en pleine crise économique et qui va porter Hitler au pouvoir… Pirandello était bien placé pour en mesurer tous les effets puisqu’à la même époque il se trouve à Berlin où il s’exile volontairement pendant deux ans. On comprend ainsi les raisons pour lesquelles la présence de l’Histoire est évoquée de cette manière (et Stéphane Braunschweig dans sa mise en scène n’hésite pas à souligner le trait avec le renfort d’images vidéo) plutôt inhabituelle sur l’ensemble de son œuvre.

À Berlin Pirandello n’est pas seul : il est accompagné par la jeune actrice Marta Abba, de 33 ans sa cadette, et il y a fort à parier que le rôle de l’Inconnue de Comme tu me veux autour duquel se noue toute l’intrigue a été spécialement écrit pour elle. Comme Stéphane Braunschweig a sans doute monté la pièce pour Chloé Réjon. Ce dont on ne peut que se féliciter tant le spectacle créé à l’Odéon doit sa réussite à cette actrice qui trouve là un rôle à la mesure de son talent. Elle est (ou n’est pas, aurait dit Pirandello !) cette jeune femme perdue dans le tourbillon de la vie nocturne, maîtresse d’un romancier de renom, et qu’un homme parmi ses compagnons de beuverie, reconnaît comme étant la femme disparue dix ans plus tôt après après été violée par les soldats autrichiens. Son mari n’a pas voulu faire le deuil de cette disparition et l’attend toujours. L’ami, un certain Boffi, parvient à convaincre l’Inconnue de revenir le retrouver ; elle retrouve dès lors un (son ?) nom, Cia… Commence alors, quatre mois plus tard comme il est indiqué par l’auteur, une toute autre histoire où le génie de Pirandello donne sa pleine mesure, l’identité de l’Inconnue demeurant incertaine, les raisons de l’attente du mari pas aussi claires qu’il pourrait y paraître, etc. …

Dans cet imbroglio où il faut pouvoir se frayer un chemin, Stéphane Braunschweig qui assume comme toujours sa propre scénographie, et cette fois-ci la traduction du texte (il est donc à toutes les manettes du spectacle, rien ne semblant lui échapper) se saisit à bras-le-corps du texte de Pirandello, met au jour ses lignes directrices sans pour autant éliminer son mystère. Il possède une certaine expérience en la matière : ce n’est pas la première fois qu’il s’attaque à l’œuvre du dramaturge italien. Sa direction d’acteurs témoigne de sa capacité à ouvrir le sens. Autour de Chloé Réjon qui se saisit de l’occasion pour réciter toutes les gammes de répertoire, Alain Libolt, Claude Duparfait ou encore Annie Mercier comme Sharif Andoura, l’aident au mieux dans son entreprise…