Une pure mécanique tragique

Jean-Pierre Han

14 octobre 2020

in Critiques

Iphigénie de Racine. Mise en scène de Stéphane Braunschweig. Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier. Jusqu’au 14 novembre, à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40 / www.theatre-odeon.eu

Toute une armée sur le pied de guerre à l’arrêt, dans l’attente que les vents se lèvent afin de pouvoir partir sur les flots et en découdre avec Troie. Stéphane Braunschweig nous explique que cet arrêt et cette attente nous renvoient à ce que nous avons vécu durant le confinement avec le monde brusquement stoppé dans sa course effrénée « vers le profit infini et la conquête économique »… Admettons. D’ailleurs l’idée de mettre en scène l’Iphigénie de Racine lui est venue pendant ledit confinement. Non pas comme une sorte d’illumination : voilà longtemps qu’il pensait à cette tragédie, mais ne trouvait pas le moment opportun pour la représenter. Ce moment, le voici donc. Avec les marques de la pandémie, puisque, nécessité oblige, il a conçu une double distribution, ce qui rend la tâche du critique dramatique plutôt ardue, sinon impossible, sauf à voir deux fois le spectacle, pour rendre compte de l’entièreté du projet. Car enfin, dans la même mise en scène, dans la même direction d’acteur, dans les mêmes déplacements, il va de soi que la présence physique des comédiens ne peut que faire changer le spectacle, ce qui est, ou devrait être, une lapalissade…

Comme toujours chez Stéphane Braunschweig, la scénographie qu’il signe lui-même, est une véritable épure. Estrade longitudinale haute placée au milieu du public assis de part et d’autre du dispositif que domine un écran sur lequel on peut voir la mer étale, image traversée par de silencieux et lents vols de quelques oiseaux ; c’est le cadre idéal pour que s’exprime la beauté du vers racinien que le metteur en scène connaît pour avoir déjà monté Britannicus à la Comédie-Française. Les comédiens dominent donc les spectateurs, peuple en attente que les vents se lèvent, que cela bouge enfin, grâce au sacrifice exigé par la voix du devin Calchas… Comme des images sans profondeur qui défileraient dans un sens ou dans l’autre, sans jamais s’arrêter. Pure mécanique de la tragédie…

La pièce débute sur les affres du chef de l’armée grecque, Agamemnon, pris entre son ambition toute guerrière et son amour pour sa fille, Iphigénie. Claude Duparfait, dans le rôle, appuie sur le côté « psychologisant » du personnage, ce qui le renvoie à l’Iphigénie à Aulis d’Euripide dont s’est inspiré Racine. Tout cela en parfait et étonnant contraste avec les autres personnages (féminins surtout avec un trio majeur composé d’Iphigénie, Ériphile et Clytemnestre, interprété à la perfection par Suzanne Aubert, Chloé Réjon et Anne Cantineau dans le version que nous avons pu voir) de la pièce. Les registres de jeu sont quelque peu différents les uns des autres ; que dire ainsi de l’interprétation des rôles d’Achille et d’Ulysse ? On oubliera bien vite cette interrogation pour se laisser bercer par la musique du chant racinien, malheureusement brouillée en début de spectacle par une sonorisation mal dosée, mais que l’on retrouvera très vite jusqu’au surprenant dénouement final : une pure invention du poète qui mène à la mort non plus Iphigénie, mais son amie Ériphile, une captive d’Achille dont elle est amoureuse…