Un travail théâtral d’une haute dignité

Jean-Pierre Han

20 septembre 2020

in Critiques

La Trêve conçu par Olivier Coulon-Jablonka, Sima Khatami et Alice Carré. Mise en scène d’Olivier Coulon-Jablonka. CDN de La Commune d’Aubervilliers. Jusqu’au 25 septembre. Tél. 01 48 33 16 16.

Tout dans cette proposition théâtrale revêt un caractère d’exceptionnalité lié en grande partie à une question de temporalité. Cela commence par le titre, La Trêve, dont l’essence est d’être provisoire. Côté provisoire aussi, éphémère, de la série de représentations du spectacle proposé à Olivier Coulon-Jablonka en raison du succès inattendu de 81, Avenue Victor Hugo par le même théâtre de La Commune d’Aubervilliers qui aura été jusqu’à être représenté au festival d’Avignon, ce qui n’était pas forcément vraiment sa place… Olivier Coulon-Jablonka aurait eu tort néanmoins de ne pas accepter la nouvelle proposition toujours organisée dans le cadre de « Pièce d’actualité » dont c’est quinzième opus.

Nouvelle plongée dans le réel, celui d’aujourd’hui donc, sur le territoire d’Aubervilliers comme c’est la règle, cette fois-ci en compagnie de la cinéaste Sima Khatami et de la dramaturge Alice Carré. Territoire d’Aubervilliers ? Si on veut : c’est plutôt une sorte de no man’s land où ont été plonger (enquêter ?) les trois artistes des mois durant. Au cœur de la zone du Fort d’Aubervilliers, un peu à l’écart de la ville, s’élèvent cinq tours qui abritaient la gendarmerie jusqu’en 2015. Elles ont, depuis, été reconverties en centre d’hébergement d’urgence (CHU) et en foyer de travailleurs. L’une de ces tours (la Cité Myriam) est occupée par plus de 200 habitants. C’est cette tour et ses habitants qui ont retenu l’attention d’Olivier Coulon-Jablonka et de ses camarades. Un certain nombre des habitants va devoir partir sans que l’on sache ce qu’il va advenir d’eux, mais ce qui est sûr c’est que la zone du Fort va être rénovée dans le cadre de l’aménagement du Grand Paris (GPA). C’est bien en ce point temporel bien précis que les artistes ont travaillé. Que vont devenir les occupants actuels, pour autant que l’on veuille bien s’en préoccuper ?

Théâtre documentaire, ici du réel le plus « actuel » donc, mais de quel réel est-il vraiment question sur le plateau ? C’est en effet – et il ne saurait bien sûr en être autrement, heureusement – un réel trié sur le volet, recomposé, aux séquences savamment choisies pour dire le vrai, la réalité des événements. Pour raconter cette autre trêve, bien plus dramatique celle-là, celle que connaissent les habitants de la tour avant qu’ils ne soient expulsés :

« Expulsion

La date exacte, tu ne la connais pas.

Je savais qu’à partir du 25 septembre, ils pouvaient venir n’importe quand. Ils sont venus le 11 octobre.

Juste avant la trêve hivernale.

Ils se démerdent très bien, ils sont très forts ! »

Le travail de Sima Khatami est cinématographiquement parfait dans ses cadrages, sa lumière… Alice Carré, dramaturge dans tous les sens du terme, a su choisir avec Olivier Coulon-Jablonka les personnes qu’il fallait, Ferima Denie, Alioune, Pascal Fiel, Boualem et Faouzia Ndoy, retenir leurs paroles déchirées, leur faire retrouver leurs mots de détresse, et les mettre en pleine lumière tout en leur permettant de retrouver une authentique dignité. Le travail du metteur en scène sur un vaste plateau nu avec en fond de scène un mur blanc sur lequel sont projetés les films dont la première séquence avec l’apparition d’une femme chantant a capella puis esquissant quelques pas de danse (orientale) est tout simplement admirable, véritable hymne à la vie, en absolu contraste avec la séquence finale par quoi se clôt le « spectacle », donnant la parole au Préfet de Seine-Saint-Denis clamant son indignation aux propos tenus par l’un des hébergésBeau contraste qui souligne bien la ligne politique tracée par l’équipe de la Trêve sans qu’il soit besoin de longs discours ou d’explications, une ligne qui parcourt, dans les configurations différentes, toute l’œuvre d’Olivier Coulon-Jablonka.