Les méandres de la conscience

Jean-Pierre Han

23 février 2020

in Critiques

Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck. Mise en scène de Julie Duclos. Théâtre de l’Odéon-Berthier, Du 25 février au 21 mars à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40.

L’aurait-on oublié, à force, et aussi parce que la musique, celle de Claude Debussy notamment, l’aura tiré vers d’autres sphères, Maurice Maeterlinck est un immense poète. Or la qualité première du spectacle, Pelléas et Mélisande, que nous offre Julie Duclos réside précisément dans sa capacité à nous donner à l’entendre et… à le voir. Il fallait sans aucune doute une certaine audace pour oser s’attaquer au chef-d’œuvre du poète tiré hors du champ musical. Un chef-d’œuvre écrit il y a bien plus d’un siècle, en 1892, et qui, cependant, en tout cas dans la mise en scène de Julie Duclos, nous parle toujours. C’est que la jeune femme opère dans un registre qui, bien sûr, laisse au bord du chemin toute velléité anecdotique réaliste et creuse un sillon qui touche au plus profond de notre inconscient, là où la vie et la mort se mêlent inextricablement. Tout dans la pièce, nous tire vers un horizon qui est celui de la disparition. Le château où vivent les protagonistes est bâti au-dessus de souterrains, et sa destinée est sans doute, à plus ou moins longue échéance, de s’y faire engloutir ; les habitants du lieu sont vieux, malades, promis à une proche disparition, alors qu’à l’extérieur les gens meurent de faim, guerre et mort rôdent, et cependant, paradoxalement, il n’y a là rien de lugubre, même si l’épilogue qui est tout sauf un dénouement, nous y mène inexorablement. Nous baignons dans cette atmosphère qu’autrefois, dans Intérieur ou la Mort de Tintagiles Claude Régy avait si bien installé dans ses mises en scène. Nous retrouvons dans ce Pelléas et Mélisande des accents (c’est un compliment) de ce travail-là, mais situés dans un clair-obscur au tracé plus net. C’est une autre temporalité qu’il nous est donnée de vivre, dans une tension particulière. Chez Julie Duclos les reflets de la vie – à travers notamment l’amour entre Pelléas et Mélisande – ne cessent aussi de scintiller. Tout cela se passe dans les méandres de la conscience dont les différents lieux rendent parfaitement compte : forêt profonde du début du spectacle dans lequel le prince Golaud s’est perdu et rencontre Mélisande en pleurs, blessée d’une blessure dont elle ne voudra jamais révéler les causes, une scène d’ouverture entièrement filmée comme plus tard celle se passant dans une grotte, avant que le théâtre ne reprennent ses droits, et que nous nous retrouvions au cœur de la scénographie d’Hélène Jourdan dont la conception est très juste dans l’esprit et que les lumières signées Mathilde Chamoux ainsi que les sons de Quentin Vigier viennent encore magnifier. C’est dans cette atmosphère qu’évoluent, emmenés par Vincent Dissez qui réalise une composition du prince Golaud absolument admirable dans sa simple complexité, des comédiens, qui, chacun dans des registres de jeu différents, mais qui finissent par s’accorder, Alix Riemer (Mélisande) et Matthieu Sampeur (Pelléas), et leurs camarades de plateau que l’on a toujours plaisir à retrouver et qu’il faut citer, Philippe Duclos, Stéphanie Marc et Émilien Tessier, sans oublier les enfants qui jouent en alternance, et dont le rôle n’est pas des plus anodins. Julie Duclos mène tout cela avec rigueur, subtilité et maîtrise pour ce qui est une belle réussite.

Jean-Pierre Han

Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck. Édition d'Arnaud Rykner. Gallimard (Folio Théâtre). 230 pages.