Exercices de style

Jean-Pierre Han

2 février 2020

in Critiques

Supervision de Sonia Chiambretto. Mise en scène d’Anne Théron, Théâtre 14 jusqu’au 8 Février, à 20 heures. Tél. : 01 45 45 49 77. www.theatre14.fr

Supervision de Sonia Chiambretto. Mise en scène d’Anne Théron, Théâtre 14 jusqu’au 8 Février, à 20 heures. Tél. : 01 45 45 49 77. www.theatre14.fr

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Dans la toute nouvelle salle entièrement rénovée et agrandie du Théâtre 14, que dirige désormais le duo composé de Mathieu Touzé et d’Edouard Chapot, se donnent de véritables et très brillants exercices de style signés Sonia Chiambretto, pour l’écriture, et Anne Théron pour la forme scénique de l’ensemble. Mais que l’on ne s’y trompe pas, ces exercices de style sont tout sauf gratuits, et s’ils apparaissent comme des jeux, ce sont des jeux tout à fait sérieux. La gratuité en effet, ce n’est franchement pas le genre de Sonia Chiambretto dont toute l’œuvre témoigne d’un authentique travail de recherche sur le langage et la matière verbale mis au service d’une farouche volonté de mettre au jour les mécanismes qui régissent nos sociétés. Elle le fait toujours avec brio, investissant jusque dans la typographie de ses textes un autre espace qui, justement, mène vers une représentation qui trouverait son aboutissement sur les plateaux de théâtre. L’univers qu’elle investit cette fois-ci est celui d’un grand hôtel (un cinq étoiles ?) et tout son personnel qui travaille et peine dans les soutes du navire. Un personnel toujours au service de…, invisible, même et surtout lorsqu’il se présente devant les clients avec la tache de les servir. Ils sont invisibles, et on ne les voit pas au strict sens du terme. Employés engagés dans la fonction, femmes de chambre, veilleur de nuit, concierge, maîtres d’hôtel, serveurs, cuisiniers, plongeurs, etc. Sonia Chiambretto s’est appuyée sur d’authentiques paroles de ce peuple de l’ombre recueillies par la sociologue Sylvie Monchatre. Elle en a fait sa propre et très particulière matière. Pas question de tisser la moindre histoire, de verser dans une quelconque psychologisation de tel ou tel employé. Des faits bruts, coupés au couteau pour montrer comment marche la machine grâce à ses servants, parfaits esclaves du monde moderne. Et là, comme souvent chez Sonia Chiambretto, ça mitraille dans un flux tendu. Très attentive à cette « musique », Anne Théron sait très bien que c’est sur ce registre qu’il faut œuvrer. Avec l’aide de sa chorégraphe Claire Servant, elle lance les trois protagonistes, Frédéric Fisbach, Julie Moreau et Adrien Serr – tous les trois parfaits – dans une série de brèves séquences parfaitement découpées et cadrées. Beau et très efficace travail de géométrie dans l’espace, proposé dans une rythmique soutenue. Ce n’est qu’à ce prix que le réel peut trouver sa légitimité. Il est totalement transcendé dans cette Supervision.

Jean-Pierre Han

Supervision de Sonia Chiambretto. Éditions de l’Arche, 104 pages, 13 euros.
Photo : © Jean-Louis Fernandez