Un spectacle troublant

Jean-Pierre Han

29 novembre 2019

in Critiques

Nous pour un moment d’Arne Lygre. Mise en scène de Stéphane Braunschweig. Odéon-Théâtre de l’Europe. Jusqu’au 14 décembre à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40

Nous pour un moment est le titre, intrigant sinon énigmatique, que Stéphane Braunschweig et Astrid Schenka, les traducteurs, ont donné à la pièce d’Arne Lygre qui est présentée ces jours-ci aux Ateliers Berthier de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Ont-ils ainsi voulu mettre l’accent sur le fait que les êtres mis en scène ici ne se rejoignent que pendant un certain laps de temps, pas plus ? C’est peut-être bien, sans préjuger de toute autre signification, ce qui se développe sur le plateau agencé (il en est comme toujours le scénographe) par le metteur en scène, Stéphane Braunschweig. Des êtres, hommes et femmes qui apparaissent alors que sur les pans blancs devant lesquels il sont le plus souvent assis apparaissent leurs dénominations : un Ami, une Amie, un Ennemi, une Ennemie, une Connaissance, un Inconnu ou une Inconnue… Nous n’en saurons pas plus, et peut-être, après tout, est-ce amplement suffisant. Il ne faut pas croire que les comédiens vont incarner durant tout le spectacle un de ces personnages, séquence après séquence il vont glisser d’un rôle à l’autre, sans distinction de sexe. Tel est déjà l’un des dispositifs de la pièce d’Arne Lygre que Stéphane Braunschweig connaît particulièrement bien puisqu’il a déjà monté plusieurs de ses pièces : Je disparais, Rien de moi…, des titres dont on peut se souvenir si l’on veut tenter de mieux saisir la signification de Nous pour un moment. Nous, c’est-à-dire une relation à l’autre, pour un moment, et un moment seulement plus ou moins bref. Assez toutefois pour que ce qu’il y a de plus profondément enfoui – amours , blessures – en chacun des « personnages » affleure à la surface.

Il y a dans cette composition ou ce dispositif quelque chose de troublant : c’est le trouble du vivant qui vient perturber et mettre à bas le dispositif inventé par Arne Lygre. Nous ne cessons de naviguer durant tout le spectacle entre la rigueur du dispositif et son contraire, car tout glisse (d’une séquence à une autre, d’un personnage à une autre) ; il y a double jeu également dans les dialogues. Pendant que l’un des protagonistes s’adresse à l’autre, il ajoute immédiatement à la fin de chacune de ses phrases, « ai-je dit », etc. Tout glisse effectivement, au sens propre du terme car tout se passe dans un bassin où sont posées des chaises qui permettent aux comédiens de n’avoir que les pieds dans l’eau !…  Stéphane Braunschweig est particulièrement à l’aise dans ce type de dispositif, lui qui aime la rigueur, mais une rigueur qui débouche sur l’infini de l’inconscient, joue ici le jeu avec plaisir et dirige ses comédiens, tous impeccables, Anne Catineau, quatre femmes, Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Chloé Réjon, et trois hommes Glenn Marausse, Pierric Plathier et Jean-Philippe Vidal, avec précision et doigté. Le trouble dans la rigueur…

Jean-Pierre Han