FESTIVAL D'AVIGNON OFF

Jean-Pierre Han

10 juillet 2019

in Critiques

L’art du portrait selon Marie Dilasser

Paysage Intérieur Brut de Marie Dilasser. Mise en scène de Blandine Pélissier. Présence Pasteur, à 17 heures 45. Tél. : 04 32 74 18 54 / 09 66 97 18 54.

Le PIB de Marie Dilasser n’est pas l’indicateur économique mesurant la production de richesse du pays, le produit intérieur brut, ou s’il l’est c’est au travers de ce qu’elle nous propose dans son texte où il est question de Paysage Intérieur Brut. Un titre d’une particulière justesse et très éclairant, puisqu’il est effectivement question de paysage – une thématique que l’on retrouve dans toute son œuvre et qui fait également allusion à sa manière d’écrire « là où elle vit », en Bretagne –, de monologues intérieurs qui isolent les personnages évoqués, quant à la brutalité, ou plutôt la radicalité, elle est plus qu’évidente, mêlée ici à une sorte d’humour noir ravageur. Cela donne dans PIB, une commande de Roland Fichet et de son Théâtre de Folle Pensée à Saint-Brieuc, dans le cadre d’une série de Portraits avec paysage un texte étonnant, effectivement portrait d’une Bernadette et évocation des personnes de son entourage, mère qui aime à vagabonder la nuit sur les routes, mari éleveur et expérimentateur de génétique bovine, et même son chien très affectueux, Rumex, chacun prenant la parole l’un après l’autre dans des monologues au bord du délire, un délire et des hallucinations activés par la prise de lexomil de l’intéressée qui sort d’un petit séjour à l’hôpital psychiatrique… Tout un monde de la ruralité est là, « plus vrai que nature », si on ose dire. Avec ces gens dont Marie Dilasser a saisi des traits de caractère après avoir les avoir rencontrés, ici et là. Dans l’étroit espace d’une salle de classe, la figure de Bernadette et de ceux qu’elle évoque, sont pris en charge avec une belle assurance par Line Wiblé, qui passe avec beaucoup de délicatesse d’un personnage à l’autre, d’un registre à l’autre, du paysan au chien, du chien à la mamie, avant de redevenir une Bernadette écorchée vive. C’est Blandine Pélissier qui est à la barre et mène la barque dans le décor forcément minimaliste, mais bien géré de So Beau-Blache. « Quatre planches et pas grand-chose », tout l’art du théâtre, comme aurait dit Roger Vitrac. En tout cas, c’est bel et bien la plume acérée de Marie Dilasser qui est mise en valeur.

Jean-Pierre Han

Le texte de la pièce est édité chez Quartett.