Le Temps réinventé

Jean-Pierre Han

26 février 2013

in Critiques

Inventaires de Philippe Minyana. Mise en scène de Robert Cantarella. Théâtre de Poche Montparnasse. Tél. : 01 45 44 50 21.

C'est un projet singulier pour ne pas dire un peu fou qu'a entrepris Robert Cantarella en remontant une spectacle qu'il avait créé avec succès il y a vingt-six ans, en 1987 avec le même trio de comédiennes composé d'Edith Scob, Florence Giorgetti et Judith Magre chargées d'accomplir à nouveau les Inventaires de Philippe Minyana. Coup de folie sans doute si par cet acte toute l'équipe de création avait voulu nier ce qui constitue l'essence même du théâtre, à savoir l'écoulement du temps. Ce temps qui est aussi, d'une certaine manière, le sujet de la pièce de Minyana. Qu'est-ce en effet que ces Inventaires que nous détaillent ces trois femmes, sinon ceux de "vies minuscules", comme dirait Pierre Michon, saisies dans les rets du temps ? Vies minuscules présentées sur la toile de fond de la grande Histoire apparaissant dans un lointain arrière-plan, mais néanmoins bien présent. Vies minuscules avec leurs détails dérisoires et pourtant si importants que l'auteur s'était d'ailleurs chargé d'aller récolter dans la vraie vie avant d'en faire sa propre et très personnelle matière, révélant déjà à l'aube de sa carrière tout son talent relayé par ses complices que l'on retrouve aujourd'hui. Les membres du quintette de création sont effectivement devenus complices. Cette complicité-là on la retrouve avec un immense bonheur sur le petit plateau du Théâtre de Poche Montparnasse rénové. Bonheur absolu parce que l'épaisseur du temps a comme bonifié l'œuvre, lui insufflant un supplément d'âme, une charge de vie étonnante. Travail du temps sur les mots eux-mêmes. Les comédiennes, elles, marchent et dansent au présent de l'indicatif, et il n'y a rien de plus émouvant. Edith Scob, Florence Giorgetti et Judith Magre n'effacent pas le temps, elles le réinventent et le domptent sous l'œil ironique de Robert Cantarella (ou de Michel Froehly).

Jean-Pierre Han