Confirmation d'un talent inouï

Jean-Pierre Han

3 décembre 2012

in Critiques

Paradis impressions de Lucie Valon et Christophe Giordano. La Halle aux Grains à Blois. Le 6 décembre. Tél. : 02 54 90 44 00.

Avec ce spectacle, Lucie Valon, une ancienne de l'école du TNS, nous offre (il s'agit vraiment d'un don) le troisième volet de son triptyque calqué sur celui de Dante et de sa Divine comédie. Paradis impressions, récemment créé au Volcan du Havre et repris à l'Atelier de Paris à la Cartoucherie de Vincennes, intervient donc après Dans le rouge (l'Enfer) et Blank (le Purgatoire), et le clown Lucie Valon toujours présent et seul sur scène poursuit sa traversée sans être pour autant le moins du monde apaisé, car le monde, celui du paradis justement, est toujours le nôtre, et le moins que l'on puisse dire, le moins qu'elle dise, mime, joue et nous fait comprendre c'est que nous demeurons tous loin du compte. Paradis ? La belle affaire ! On nous dira qu'il s'agit juste de quelques impressions comme le souligne le titre du spectacle, il n'empêche. Le triptyque s'achève donc sur un point d'interrogation pour ne pas dire sur un ironique désenchantement. En dehors de la qualité intrinsèque du spectacle, le véritable intérêt du travail de Lucie Valon et de Christophe Giordano réside en fait dans la trajectoire qu'ils dessinent ensemble depuis six ans maintenant ; encore faudrait-il que cette trajectoire puisse être saisie dans sa globalité, et que les trois volets de la trilogie puissent être ainsi appréhendés dans un même mouvement. Apparaîtrait alors, au fil de la traversée, une lente désintégration de notre rapport au monde. Dans le rouge, d'un point de vue purement dramaturgique et politique donc, étant peut-être le plus âpre, le plus fort aussi des trois volets. Pour affermir leur propos les deux responsable de la compagnie La Rive ultérieure n'avaient pas hésité à aller piocher chez Dante, Mandelstam ou encore Raoul Vaneigem, et à faire leur miel de ce qu'ils y avaient trouvé. C'était le coup de poing inaugural ; âpreté et violence ont aujourd'hui disparu, reste la vision d'un univers pas si paradisiaque que cela, mais que décrit avec un talent inouï Lucie Valon qui laisse parfois entrevoir d'autres registres de jeu que ceux de la clownerie pure. Elle ne fait que confirmer ce que l'on subodorait, à savoir qu'elle est tout simplement l'une des actrices les plus talentueuses de sa génération, dans sa façon d'habiter le plateau entre grâce et force de conviction, dans la précision de toute sa gestuelle et sa maîtrise vocale, dans une façon d'être tout à fait singulière que l'on peut qualifier de style.

Jean-Pierre Han