Une course d’obstacles

Jean-Pierre Han

20 janvier 2010

in Critiques

L'Immédiat avec Camille Boitel, Marine Broise, Aldo Thomas, Pascal le Corre, Jérémy Garry et Jacques-Benoît Dardant. Théâtre de la Cité internationale jusqu'au 31 janvier, puis tournée. Tél. : 01 43 13 50 50

L'immédiat © Vincent Beaume

Jamais titre de spectacle n’aura aussi bien collé à l’objet présenté. L’Immédiat : Camille Boitel et sa bande entendent – ils nous l’affirment donc d’emblée – œuvrer dans l’immédiat, sur l’immédiat. Ce faisant, ils touchent à l’essence même du spectacle vivant qui vit et meurt dans l’instant, sur le plateau. C’est bien cela qui fascine ou plutôt qui nous touche tant, car nous autres spectateurs sommes bien évidemment impliqués, parce que saisis dans la même temporalité que les artistes, dans ce processus de vie et de mort instantanés. Le paradoxe voulant que cette immédiateté que Camille Boitel veut capter et dont il veut faire spectacle est la chose au monde la plus difficile à réaliser. Il faut donc en faire l’apprentissage, répéter, répéter encore pour établir les conditions permettant son émergence. Le projet de L’Immédiat date d’il y a une dizaine d’années, nous dit-on ; pas mal pour des jeunes gens qui ne doivent pas encore atteindre la trentaine ! Dix ans, soit le temps d’une réelle initiation. À l’école Annie Fratellini, auprès de James Thierrée, en présentant un premier spectacle en 2003 L’Homme de Hus et quelques formes brèves, qui viendront alimenter l’Immédiat… Cet Immédiat présenté au théâtre de la Cité internationale est-il d’ailleurs définitif ? Rien n’est moins sûr. La forme, chez Camille Boitel, n’est jamais donnée une fois pour toutes (forcément !). Pourtant tout est calé au millimètre près, autre paradoxe pour nous faire ressentir la fragilité des choses, leur fragilité et leur instabilité. Camille Boitel et ses compagnons jouent de ces paradoxes, entre le vide et le plein (de la scène), entre leur assurance d’acrobates rompus aux arts du cirque et l’impossibilité de fixer quoi que ce soit de manière définitive, faisant partager aux spectateurs le frisson d’un risque réel. Ils nous emmènent dans leur dérive à travers le monde en proie à d’incessantes catastrophes. Car dans leur étrange tourbillon, c’est bien d’un monde saisi de folie dont ils nous rendent compte pour notre plus grand bonheur. Hommes et femmes, on ne les différencie plus guère, – ils jouent, comme de bien entendu, de cette indifférenciation –, passant d’un genre à un autre, essayant de survoler, au sens propre du terme, la catastrophe des objets (qu’ils sont par ailleurs en capacité de parfaitement manipuler) qui s’effondrent les uns après les autres après avoir encombré la scène dans un invraisemblable bric-à-brac qui est l’une des caractéristiques des scènes de quelques créateurs contemporains (François Tanguy, Alexis Forestier…), mais poussé, cette fois-ci, jusqu’à son extrême absurdité… C’est un émerveillement en perpétuel renouvellement qu’il nous est donné de vivre au cours de ce spectacle. Un émerveillement qui est sans doute celui des six protagonistes devant un monde que décidément ils ne comprendront jamais, mais dans lequel ils se meuvent avec souplesse et habileté, étape après étape, comme les héros des romans de Kafka… Un émerveillement qui mène les spectateurs tout droit vers le plaisir pur.

Jean-Pierre Han