Théâtre d’aujourd’hui ?
Certains spectacles présentent cette caractéristique d’être tout particulièrement en phase avec leur époque. La seule question qui se pose alors est de savoir quelle est cette époque, ce qu’elle regorge, dégage, quelle est son idéologie en un mot. On comprend aisément que ces productions connaissent un certain succès auprès du public qui se retrouve là comme devant un miroir, et qui finit par s’applaudir lui-même, s’esbaudissant des soi-disant audaces qui sont toujours de mise. Cela fonctionne d’autant mieux que, d’une manière générale, ces spectacles, au plan de la réalisation, sont presque toujours bien faits. D’une bonne facture comme on le dit d’un produit bien manufacturé, mais pour ce qui est de la novation esthétique, ce n’est souvent que poudre jetée aux yeux d’un public dont on se garde bien de raviver la mémoire si tant est que celle-ci existe encore. Revenons maintenant à notre époque, ici et maintenant. Sarkozyste rampante en diable, malheureusement, avec ses conséquences sur lesquelles il n’est point utile de revenir. Ce n’est pas ici le lieu de le faire. Disons simplement qu’il existe une certaine forme de théâtre qui lui sied parfaitement, mais contrairement à ce que l’on pourrait penser celle-ci ne se trouve pas forcément dans les théâtres privés (ce serait trop simple), et on la trouve aussi, encensée voire idolâtrée, dans le circuit public, jusqu’en ses plus hautes institutions. Certains festivals les accueillent avec plaisir ; d’autres leur sont même complètement dédiés. Le réseau entier et contaminé. C’est bien là où réside le danger. Car, dans le même temps, ce théâtre prétend nous parler du monde, en être presque le décalque néanmoins novateur et toujours critique. Billevesées ! Inutile de remonter jusqu’à Roland Barthes pour rappeler comment notre bonne société libérale de plus en plus avancée s’y entend pour récupérer ce qui pourrait la mettre réellement en question, et recycler le tout dans de grands effets de manche. Entreprise de décervelage enclenchée, nous avons désormais droit à un certain nombre de spectacles qui, au plan de la pensée, avoisinent le vide absolu, dans un défilé de belles images creuses. Le spectateur attentif aura ainsi pu passer le plus clair de son temps (long) lors de la représentation du Père Tralalère, création dite collective de la compagnie « d’ores et déjà » mise en scène par Sylvain Creuzevault, à se poser la question de savoir quel était son enjeu, et où cette joyeuse mais poussive bande entendait nous mener… Question restée, pour ce qui me concerne, sans réponse, le spectacle n’étant qu’une succession de séquences tournant autour du très éculé thème d’un repas de famille, lorgnant vers des esthétiques dans l’air du temps comme celle de l’incontournable Rodrigo Garcia, pour ne prendre qu’un exemple. N’écrit pas qui veut La noce chez les petits bourgeois ! On me rétorquera que ce spectacle a été créé il y a maintenant deux ans et que, depuis, « d’ores et déjà » est passé à un autre stade de travail (et de réflexion ?). C’est vrai qu’avec Notre terreur que je n’ai malheureusement pas encore pu voir, voilà qu’ils s’en prennent directement à de grandes figures de la Révolution française pour parler, paraît-il, de notre aujourd’hui… Ou le politique saisi à bras-le-corps… Ces deux spectacles ont été présentés au théâtre de la Colline à Paris sous l’égide du très pointu Festival d’automne (salut à Alain Crombecque récemment disparu), comme l’avait déjà été leur production – tout en esbroufe chic et toc – de Baal de Brecht en 2007. Je remarquerai simplement que Le père tralalère est d’ores et déjà obsolète, car rien ne vieillit plus vite que ce qui entend naviguer sur l’air du temps et n’en est que l’écorce vide.
Jean-Pierre Han paru dans Les Lettres françaises du 7 novembre 2009