Un enthousiasme mesuré

Jean-Pierre Han

17 mai 2009

in Critiques

Mesure pour mesure de Shakespeare. Mise en scène d’Adel Hakim. Théâtre des Quartiers d’Ivry. Jusqu’au 31 mai à 20 h., 19 h. le jeudi. Tél. : 01.43.90.11.11

Après Jean-Yves Ruf à Bobigny en novembre, c'est Adel Hakim qui porte ce mois-ci Mesure pour Mesure sur le plateau, au Théâtre des Quartiers d'Ivry, dont il est le directeur. Loin des habituelles têtes d'affiches Shakespeariennes, loin des déclinaisons multiples de La Tempête, Le Roi Lear ou encore Roméo et Juliette, le metteur en scène se propose de nous faire redécouvrir cette pièce trop rarement montée. Il fait ainsi le choix d'établir lui-même sa traduction, dans une langue florissante, résolument moderne, jonglant sans complexe d'un registre à l'autre : en résumé, un puissant appel au jeu pour une ribambelle d'acteurs... Cependant, tantôt cabotins, tantôt grandiloquents, ils amusent dans un premier temps, pour agacer finalement : ils s'égayent et se déchirent, et ils sont bien les seuls. Pourtant, on ne peut pas mettre cette lacune sur le compte de la négligence : cette esthétique en dents de scie semble être un véritable parti pris, la direction d'acteurs est bel et bien passée par là. Avec Mesure pour Mesure, Adel Hakim décide de jouer la carte du contraste, jusqu'à l'étourdissement. Le spectateur ne sait plus où donner de la tête, et se rattache à n'importe quelle bribe de cohérence pour ne pas chavirer. Durant deux heures dix, le burlesque se juxtapose avec le tragique, les deux s'annulent l'un l'autre et l'on ressort épuisé, à force de tentatives d'immersion dans la pièce.

Cependant, force est de reconnaître qu’Adel Hakim a bien saisi l'essence plurielle de l'œuvre, et son caractère unique. Souvent, on ne sait dans quelle catégorie classer Mesure pour Mesure : ce n'est ni tout à fait une tragédie, ni tout à fait une comédie, et il semble que le terme de tragi-comédie soit tout aussi problématique. Mesure pour Mesure est d'abord une pièce sur le pouvoir et ses dégâts entre les mains d'un propre sur lui sans pitié. Mais c'est également l'histoire du dilemme d'une jeune vierge qui, pour sauver son frère de la mort, doit se donner à cet homme d'état si propret en apparence. Enfin, Mesure pour Mesure, c'est une fin en feu d'artifice, qui semble obéir à la nécessité pressante du happy end. A cela, on pourrait rajouter que Mesure pour Mesure est une pièce shakespearienne, avec ses figures autoritaires terrifiantes et ses bouffons parsemés çà et là. Ce sont toutes ces couleurs qu’Adel Hakim a voulu mettre en valeur dans sa mise en scène, pour créer un spectacle qui parviendrait à recouper toutes ces émotions. Cependant, il est allé trop loin, a trop outré chacune de ces fines touches, les a soulignées au lieu de les réinventer. C'est ainsi que d'un patchwork on fait un vilain costume d'Arlequin. Rien de honteux cependant, non. La mise en scène d’Adel Hakim se laisse regarder, on rit parfois, on écoute, on ne s'ennuie pas vraiment. On ne se met pas en danger non plus : lorsque l'on ressort de la salle, il suffit de quelques minutes pour que le spectacle se délite entièrement, et qu'il n'en reste rien. Alors oui, on "aura vu du Shakespeare", du Shakespeare sans prétention, et surtout du Shakespeare sans ambition.

Chloé Vollmer-Lo