Une histoire de famille
Nous, les héros (version avec le père) de Jean-Luc Lagarce. Théâtre des Bouffes du Nord, jusqu’au 1er décembre à 20 heures, le samedi à 15 heures. Puis à partir de novembre tournée à Nice, Rungis, Compiègne, Caen. Tél. : 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com
Texte de la pièce parue aux Solitaires intempestifs comme toute l'œuvre de Jean-Luc Lagarce

C’est bien d’une histoire de troupe théâtrale dont il est question aujourd’hui avec Clément Hervieu-Léger qui vient d’être nommer à la tête de la Comédie-Française dont il était déjà sociétaire, mais qui, dans le même temps et depuis 2010 avait créé et dirigé avec Daniel San Pedro la compagnie des Petits Champs avec laquelle il a notamment mis en scène le Pays lointain de Jean-Luc Lagarce, en 2017. Le voici aujourd’hui, avec sa compagnie, de nouveau dans l’univers de Lagarce, avec Nous, les héros (version avec le père). Rien d’étonnant à cela si ce n’est que cette fois-ci l’œuvre choisie fait partie de celles de l’auteur écrites à la fin de sa vie en 1993, deux ans avant son décès, Elle aurait aussi, a-t-on coutume de dire, une tonalité différente – c’est-à-dire une autre qualité – de celle de ses autres pièces. Une affirmation que l’on pourra discuter. Est-ce en tout cas pour cette raison qu’elle est considérée comme relativement secondaire, peu jouée et même lue ?
La mise en scène de Clément Hervieu-Léger arrive pour ainsi dire à point nommé pour aller à l’encontre de cette opinion et on lui en sait dès lors forcément gré. Et il se trouve, mais ce n’est guère un hasard, que Nous les héros raconte une histoire de troupe théâtrale. Calquée sur celle de Lagarce lui-même, le théâtre de la Roulotte pour lequel il avait mis en scène le Malade imaginaire en se proposant d’accompagner ce spectacle d’une représentation de Nous les héros répété en journée lors de la tournée… Échec total.
En tout cas le travail de Clément Hervieu-Léger permet de juger sur pièce (pardon pour le vilain jeu de mots !) de la qualité intrinsèque de Nous les héros, une pièce écrite pour une troupe (et même certainement pour certains comédiens de cette troupe), sorte de décalque de la réalité : nous sommes
tout juste à la fin des saluts pour nous retrouver dans ce qui tient lieu de loge commune – une grande salle derrière la scène, car ce ne sont pas les coulisses d’un grand théâtre, mais l’espace d’un bâtiment – salle des fêtes, ancien cinéma… – plutôt minable comme le quotidien des représentations en pleine tournée en offre régulièrement. C’est là que les comédiens se changent, retirent leurs costumes de scène, se démaquillent entre deux discussions qui peuvent d’enflammer, qui vont s’enflammer, jusqu’à l’algarade… Ce que nous offre Lagarce est plus vrai que nature, ce fut le vécu de sa compagnie en pleine tournée. Ce qui magnifie la pièce c’est, comme toujours, son écriture si particulière, de toute beauté dans l’emploi même des temps de conjugaison, c’est aussi sa volonté de se référer à un auteur qui le « travaille », Franz Kafka qui, en son temps avait eu une relation étroite avec le théâtre et notamment avec la troupe de théâtre juif ambulant dirigée par Jikzak Löwy.
L’auteur pragois à qui Lagarce fait maints emprunts était fasciné par la comédienne Madame Tschissik. On la retrouve, avec le même nom, dans Nous les héros incarnée d’éblouissante manière par Elsa Lepoivre, de la Comédie-Française… D’autres personnages font référence à la planète Kafka comme ce Max (Guillaume Ravoire) qui évoquerait l’ami intime de Kafka, Max Brod… Incroyable jeu de miroir, il n’est pas jusqu’au lieu de l’action dans lequel Clément Hervieu-Clément situe son propos, en Pologne, pas si éloigné que cela de Prague, en Europe de l’est donc, qui ne participe à ce rapprochement.
Clément Hervieu-Clément mène la barque de sa famille théâtrale avec une belle dextérité et c’est avec un réel plaisir que l’on retrouve ses membres, avec Daniel San Pedro (le Père), Vincent Dissez (Monsieur Tschissik) – quel duo avec Elsa Lepoivre – Judith Henry (la Mère), et leurs camarades de plateau, Aymeline Alix, Clémence Boué, Jean-Noël Brouté, Olivier Debbasch, Juliette Léger et Guillaume Ravoire. Une vraie famille, effectivement.
Photo : © Juliette Parisot
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