Hamlet puzzle
Hamlet/Fantômes d’après Shakespeare. Auteur et metteur en scène Kirill Serebrennikov. Théâtre du Châtelet. Jusqu’au 19 octobre à 20 heures. Tél. : 01 40 28 28 40

On imagine aisément la réaction de Kirill Serebrennikov lorsqu’Olivier Py lui a proposé de mettre en scène Hamlet au théâtre du Châtelet qu’il dirige. Moment de joie sans doute auquel a dû se mêler, comme toujours dans ces cas-là, une certaine inquiétude – on le serait à moins – d’avoir à affronter le chef-d’œuvre de Shakespeare. Un chef-d’œuvre particulièrement prisé en Russie (et bien sûr dans de nombreux autres pays !) mais auquel Krill Serebrennikov ne s’est jamais confronté, même s’il a un temps aidé son ami David Bobée lorsque celui-ci, il y a une dizaine d’années, a monté la pièce avec des élèves su Studio 7 au Théâtre d’Art de Moscou dont il était alors le directeur…
On était donc en droit de beaucoup attendre du travail sur Hamlet par le metteur en scène russe. Il n’en est rien puisque celui-ci a pris une voie de traverse en décidant non pas de monter la pièce de Shakespeare, mais de présenter une variation autour du personnage éponyme entièrement écrite par lui-même. Soit dix séquences autour et à partir d’Hamlet, mais pas que : sont également évoqués d’autres figures voire mis en valeur sans que le lien entre les différents personnages ne soit réellement établi, même si le nom d’Hamlet apparaît dans les titres de chacune des séquences (Hamlet et le Théâtre, Hamlet et le Père, Hamlet et l’Amour, etc.). Admettons. Dans le même temps Kirill Serebrennikov profite très largement de l’état de folie et de violence du monde que vivait et décrivait le dramaturge anglais pour bien évidemment établir un lien avec notre propre univers et s’autoriser à aller sur des chemins apocalyptiques. « Nous sommes l’engendrement de la folie. Nous sommes les ombres d’Hamlet. Ses fantômes. Voilà pourquoi cette pièce parle de nous », dit-il très justement. Une justification qui s’avère bien pratique. Un peu trop peut-être. Serebrennikov aura opéré et ainsi justifié son habile « déplacement » pour ne pas mettre en scène la pièce de Shakespeare. Revenant évidemment sur la question des fantômes qui est donc centrale dans sa proposition et l’autorise à toutes les digressions.
Ce sont effectivement des séquences où opèrent des fantômes qu’il nous donne à voir avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins de pertinence dans le décor d’une vaste pièce délabrée, au bord de la ruine, avec un grand trou dans le plafond et au lointain une cheminée qui pourra être déplacée avec un miroir. Focale sans cesse déplacée d’une séquence à une autre, Serebrennikov se permet tout : passe d’un personnage à un autre, redistribue les rôles, il n’y a pas pas un Hamlet, mais une multitude d’Hamlet, les acteurs se repassent le rôle : Bertrand de Roffignac, August Diehl, Nikita Kukushkin, Odin Lund Biron, Kristian Mensa… le tout dans des configurations apparemment plus ou moins éloignées du sujet. Le tout est fortement appuyé par le compositeur Blaise Ubaldini et l’Ensemble intercontemporain au milieu d’un chevauchement de différentes langues, française, anglaise, allemande et russe…
Il y a largement de quoi se perdre d’autant que le dispositif ne saurait éviter les différences de réussite et de qualité des différentes séquences entre elles (plus resserrées toutefois dans la deuxième parte). Et si, par exemple, on apprécie la prestation de Judith Chemla en Sarah Bernhardt qui interpréta le rôle-titre, on reste beaucoup plus sceptique sur d’autres séquences qui apparaissent plus comme un fatras n’arrivant pas vraiment à rendre compte (ou alors de très loin) des problèmes que soulèvent la personnalité d’Hamlet et ses propres questionnements.
Photo : © Vahid Amanpour/Théâtre du Châtelet
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