Avignon in : une fable cousue de fil blanc
La Distance de Tiago Rodrigues, mise en scène de l’auteur. L’Autre scène du Grand Avignon à Vedène, Jusqu’au 26 juillet à 12 heures. Les 16 et 19 juillet à 12 heures et 17 h 30. Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com
Texte édité aux Solitaires Intempestifs, 62 pages, 14 euros.

Avec cette dernière création Tiago Rodrigues ne déroge pas à ce qui constitue une des caractéristiques de son œuvre : la mise en place d’un dispositif de jeu, une sorte de machine à jouer qui lui permet ensuite de développer théâtralement son sujet à loisir. C’était, pour ne prendre que quelques exemples, le cas pour Dans la mesure de l’impossible présenté ici même au festival en 2023, sans parler bien sûr de son célèbre et très particulier By heart… Il a également maintes fois expérimenté le jeu à deux dans ce qui constitue des réussites qu’il s’agisse d’Antoine et Cléopâtre ou du très beau Cœur des amants. Il connaît donc parfaitement la musique.
Cette fois-ci, avec La Distance ce dispositif est annoncé dans le titre même. Il est donc question de distance… irrémédiable, de séparation entre un père et sa fille dans l’impossibilité de former un authentique duo et de nouer ce que l’on pourrait continuer à ainsi qualifier : une relation humaine (filiale ou pas). Il plonge ses deux personnages dans une dystopie qui fait intervenir l’espace interplanétaire puisque la jeune femme de la fiction s’exile sur Mars – sans volonté ni espoir de retour sur terre, là où son père, un médecin exerçant dans un hôpital public dont on ne connaît que trop bien l’état de déréliction dans lequel ces établissements se trouvent (et voilà une première touche de la description de notre monde terrestre dans lequel nous sommes « enfermés » et que nous serons contraints de supporter, nous ou nos descendants puisque l’action se passe en 2077, dans un peu plus d’un demi-siècle). De l’autre côté, dans l’espace interstellaire, ce qui est en train de se mettre en place sur la Planète rouge, une société « entre les mains d’une oligarchie numérique » pour reprendre l’expression de l’auteur, un peuple géré par les possédants qui ont épuisé les ressources de la Terre et vont donc imposer leur modèle de vie aillieurs, à leur convenance bien évidemment. C’est de la science-fiction, mais on connaît ça, et le théâtre ces derniers temps aime bien voyager dans ces espaces imaginaires, mais à ce train nos planètes voisines, dans les fictions théâtrales risquent fort d’être bientôt surpeuplées !… Dans ce domaine l’imagination qui prend quand même appui sur les régimes autoritaires, pour le dire poliment, que nous commençons à vivre en notre temps, n’a plus de frontières, et Tiago Rodrigues ne manque pas d’y faire allusion, évoquant catastrophe sur catastrophe sur la Terre.
Le déroulé de la pièce mène là où elle doit mener, à la divergence puis à la séparation des deux protagonistes au point que la fille ne reconnaîtra même plus son père avec lequel toute relation, et même toute reconnaissance, à force de se distendre, finit par être coupée. Le titre de la pièce évoque la distension : restait au scénographe, Fernando Ribeiro, à la matérialiser. C’est fait avec un plateau rond tournant (on a bien compris pourquoi) dans un sens puis dans un autre, chaque protagoniste fiché sur un côté de la tournette, au milieu duquel – comme en forme de séparation définitive entre les deux personnages – trône le tronc imposant d’un arbre immense avec ses ramifications qui interdiraient toute possibilité de rapprochement entre les deux personnages si tant est qu’ils auraient des velléités de le faire.
Cela reste malheureusement un schéma assez convenu qui demeure à la surface des choses, mais il y a pire : la platitude du texte lui-même, comme écrit à la va vite dans une sorte de survol rapide qui est d’autant plus surprenant (rageant même) que les deux comédiens, Adama Diop et la toute jeune Alison Dechamps, eux, semblent y croire, et défendent leurs personnages avec une réelle conviction.
Photo : © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon
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