Avignon off : L’infernale ronde de la vie

Jean-Pierre Han

4 juillet 2025

in Critiques

Dans le silence de paumes de Florian Pâque. Mise en scène de l’auteur. Théâtre du Tain bleu – Salle MAIF, à 12 h 30, sauf les 11 et 18 juillet. Navette à 12 h au Train bleu. Tél. : +33 4 90 82 39 06.

Narjesse Medjahed

Destiné à être donné, dans le cadre et avec le soutien de La Poudrerie, la scène conventionnée de Sevran, Dans le silence des paumes de Florian Pâque a déjà été joué dans de nombreux appartements de la ville, mais aussi dans quelques autres lieux a priori non destinés à accueillir des spectacles de théâtre. Une manière comme une autre de tenter de toucher un autre public que celui habitué des salles de spectacle traditionnelles. Dans le silence des paumes avait été présenté l’année dernière lors du festival Off d’Avignon pendant quelques petits jours juste à côté et au-dessus des salles de théâtre du Train bleu. Reprogrammé cette saison dans une salle elle aussi non destinée au départ à des représentations, elle revient pour le Off d’Avignon, toujours sous l’égide du Train bleu, un privilège réservé aux succès patentés. Un succès qui, dans le cas de ce spectacle signé Florian Pâque, est amplement mérité tant ce qu’il développe ici ou là, dans une salle neutre ou la pièce d’un appartement, touche avec délicatesse au plus profond en même temps qu’il parvient à enrouler avec une véritable force la description de sa fiction autour d’éléments de la plus stricte réalité. Car la fiction de Florian Pâques s’appuie sur des témoignages recueillis auprès d’habitants de Sevran et où il est question de la dureté de métiers et de petits boulots engendrant toutes sortes de désagréments et de maladies, rongeant les corps recrus de fatigue de ceux qui s’y astreignent par pure nécessité de survie comme c’est le cas de cette femme, une certaine Maryse, figure centrale du spectacle, née à la fin des années cinquante, et qui est tout simplement absente du plateau. Ne reste d’elle que le fauteuil vide auquel vont s’adresser ses trois enfants après sa disparition. Ces trois enfants vont l’incarner tour à tour tout en l’apostrophant. Car le besoin d’amour est là douloureusement présent. Se dessine alors, en creux, la figure de cette femme qui aura lutté toute sa vie durant, passant d’un petit boulot à un autre après avoir été contrainte d’abandonner ses rêves du travail (dactylo) auquel elle aspirait.

Pour être apparemment simple, l’histoire – la fiction – inventée par Florian Pâques est très habilement ficelée, repose sur une sorte de paradoxe, je l’ai dit, et concentre dans les petits espaces toute l’émotion du monde, parce que les trois comédiens qui assument tous les rôles, le frère et la sœur et leur demi frère, nous embarquent dans une incroyable ronde. Les comédiens, chacun dans son registre se donnent corps et âme à ce jeu qui, paradoxalement, fait revivre la belle figure de la mère. Florian Pâque et Nicolas Schmitt, les deux piliers de leur compagnie, le Théâtre de l’Éclat, s’entendent et se complètent dans leur différence même alors que Loelia Salvador, jeu d’une aisance et d’une intensité de tous les instants habite l’espace avec une belle autorité toujours maîtrisée. C’est de la belle et forte ouvrage.

Photo : Narjesse Medjahed