AVIGNON OFF : RECONSTITUTION

Jean-Pierre Han

3 juillet 2025

in Critiques

Françés de Lamine Diagne et Raymond Dikoumé. Mise en scène de Jessica Dalle. Théâtre des Halles (salle Chapitre). Du 5 au 26 juillet à 11 heures (sauf les mercredis 9, 16 et 23).Tél. : 04 32 76 24 51.

France-Portrait-Verdun-HD-25

Auteurs, metteurs en scène, musiciens et comédiens dans de multiples registres de jeu, Lamine Diagne et Raymond Dikoumé, ne pouvaient que se rencontrer, ce qui fut chose faite dans la très particulière ville-monde de Marseille. Et bien entendu les deux compères de se rendre compte que leurs origines et parcours respectifs pour être très personnels pouvaient en de nombreux points se rejoindre, et, en tout cas, faire naître et susciter nombre de questions concernant notamment celle des métissages. Lamine Diagne et Raymond Dikouné s’ils sont tous les deux nés en France ont en commun d’avoir des ascendances lointaines du côté de l’Afrique, du Sénégal pour le premier, du Cameroun pour le second, et entretiennent aujourd’hui encore des relations avec des frères et sœurs restés au pays comme on dit. C’est bien d’abord une histoire de famille comme il est rappelé en début de spectacle par la voix d’une conteuse dont il est question et que les deux artistes ont décidé de concocter ensemble. En retrait en ce qui concerne leur fonction de metteurs en scène sur ce spectacle – ils ont fait appel, et c’est peut-être l’un de leurs atouts, à Jessica Dalle qui, bien qu’encore jeune possède déjà une belle expérience en matière dramatique comme en matière musicale, domaines qu’elle associe bien volontiers.

À lire attentivement le générique du spectacle, on s’apercevra qu’il est particulièrement intéressant et… parlant. On pourra par exemple s’arrêter sur la scénographie et la création visuelle signées Éric Massua et souligner la très juste idée de situer l’ensemble dans une cave, un lieu emblématique dans lequel nos deux « Françés » comme le stipule avec précision le titre du spectacle vont dévider plus d’une heure durant le fil de leur existence intime, tentant de rassembler les pièces éparses de ce qui constitue leurs personnalités. Une cave parce que c’est un lieu clos, en sous-sol à l’abri des regards, un lieu souterrain, presqu’une cache. Le symbole est fort. C’est là que les deux artistes vont paradoxalement mettre au jour le mystère de leur double appartenance dans un jeu de ping-pong verbal, s’accoucher l’un l’autre au milieu d’un authentique bric-à-brac de cartons de toutes les tailles et aux motifs divers et variés qui encombrent leur lieu secret, autant de cases où sont enfouis les secrets de leur vie. Et dire qu’ils étaient venus chercher de bonnes bouteilles de vin que l’on trouve toujours dans les caves ! Sans doute de ce fameux vin qui délie les langues…

L’entente, voire la complicité, des deux hommes est telle que tout se déroule comme hors du temps (un no man’s land dans l’espace de cette cave), avec humour, intelligence, une sorte de douceur, d’empathie, rares dans ce type de duo qui se transforme vite en duel dans la plupart des cas. En ce sens Françés fait preuve d’une réelle et bienheureuse originalité.

Photo : © Éric Massua