Comment dire la catastrophe du « monde nouveau » ?

Jean-Pierre Han

12 juin 2025

in Critiques

Monde nouveau, texte d’Olivier Saccomano. Mise en scène de Nathalie Garraud. Spectacle créé le 30 mai 2025 au Théâtre des 13 vents, CDN de Montpellier dans le cadre du Printemps des comédiens. Une grande tournée en France est prévue pour la saison 2025-2026.

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Monde nouveau : l’annonce précédent les intentions du duo formé par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, les directeurs du Théâtre des 13 vents à Montpellier, pour leur dernière création, est on ne peut plus claire. Explicitée dans leurs notes d’intention elle l’est encore plus, et on ne peut à tous égards qu’y souscrire, d’autant qu’ils ont l’excellente idée de situer ce nouvel opus dans la suite de leur parcours et notamment de leur travail autour ou à partir de Shakespeare, Un Hamlet de moins et Institut Ophélie. Sauf que cette fois-ci Monde nouveau entend opérer sur le contemporain, on l’a compris, et le futur proche qui nous pend au nez. La démonstration intellectuelle est convaincante appuyée sur les pensées de philosophes (rien d’étonnant de la part d’Olivier Saccomano qui a suivi une formation dans ce domaine) que l’on apprécie, Grégoire Chamayou, Mark Fisher, Gilles Deleuze, ou de théoriciens (politiques) comme Frederic Jameson. Elle s’appuie aussi, côté création littéraire et artistique, sur des œuvres de Kafka et de Chaplin. Nous voici donc parés pour le spectacle.

Sans doute est-ce à ce stade que les choses commencent à gripper. En quoi la solution dramatique s’avère-t-elle décevante ? En effet pour décrire ce « monde nouveau », Nathalie Garraud à la mise en scène et Olivier Saccomano pour le texte, font preuve d’un réel manque d’imagination et ce qu’ils nous donnent à entendre et à voir, notamment dans toute la première partie du spectacle, a été vu et entendu mille et une fois aussi bien en littérature qu’au cinéma ou au théâtre. Il y a de leur part une sorte de timidité qui nuit au propos. J’entends bien qu’à énumérer tous les maux de notre temps et de notre futur proche l’affaire n’est pas simple. Tout se passe comme si Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, notamment dans son texte, tombaient dans le piège qu’ils se sont évertués à mettre en place. Ce que la jeune Alice K. (qui va donc découvrir le monde des « merveilles » d’aujourd’hui et de demain, avec passage obligé par le monde de Kafka), une femme de ménage s’éveillant d’un long sommeil, va commencer à vivre ressortit d’un authentique cauchemar… « climatisé » comme aurait dit Henry Miller.
Qu’il faille explorer tout en la dénonçant cette voie d’ère pré-fasciste qui se met en place de manière implacable et que nous vivons au jour le jour, est une évidence. Reste à trouver les vrais outils pour en parler en d’autres termes et formes que ceux qui nous sont théâtralement (et littérairement) imposés. Pour l’heure il y a inadéquation entre les intentions affichées et la description de ce que vers quoi nous glissons infailliblement et la réalisation théâtrale chargée de nous le faire savoir. On reste toujours en deçà de la réalité des choses. Les sept comédiens robotisés (Florian Onnéin, Conchita Paz, Lorie-Joy Ramanaïdou, Charly Totterwitz, Éléna Doratiotto, Mitsou Doudeau, Jules Puibaraud en alternance avec Cédric Michel), dans le registre qui leur est imposé, n’y peuvent malheureusement rien.


Photo : © Jean-Louis Fernandez