Gabriel Monnet-Jean Varéla en statue du Commandeur ?
Gaby, mon spectre de Julien Bouffier. Mise en scène de l’auteur. Spectacle créé le 10 décembre 2024 au Hangar Théâtre à Montpellier. Vu à la Maison de la culture de Bourges le 28 mai 2025.
Sans doute convient-il de lire attentivement le titre, Gaby, mon spectre, du dernier spectacle de Julien Bouffier afin de ne pas s’égarer sur de fausses pistes le concernant. Sachant que Gaby est le surnom familier de Gabriel Monnet, un des grands noms de la décentralisation théâtrale, une de ses figures quasiment mythiques, mais que le temps (il est mort en 2010) a effacé de la mémoire des toutes jeunes générations. La question se pose dès l’abord de savoir pourquoi Julien Bouffier se permet une telle familiarité, et ce qui l’y autorise. La réponse est dans le spectacle lui-même, que la deuxième partie du titre, « mon spectre », annonce. Il ne sera donc pas question d’un portrait de Gabriel Monnet, mais d’une évocation personnelle, « spectrale » du pionnier de la décentralisation théâtrale, qui fut à la fois metteur en scène, acteur, directeur d’institutions comme le CDN des Alpes à Grenoble, puis de la maison de la culture de Bourges inaugurée un an après son ouverture en 1964 par André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles dans un discours resté célèbre.
En d’autres termes, Gaby, mon spectre, est bel et bien un spectacle dans lequel Julien Bouffier parle de lui-même, de sa propre trajectoire intellectuelle et se confie notamment sur la relation forte et admirative vis-à-vis de la figure de maître de Gabriel Monnet. Une relation d’autant mieux enracinée dans sa chair qu’il aura pu travailler avec lui, le distribuant ainsi dans Hernani de Victor Hugo… (on en aura un petit rappel en cours de spectacle).
Le spectacle débute au moment du Covid et du confinement avec pour conséquence la fermeture des lieux de représentation ouvrant le temps d’une authentique réflexion sur l’art du théâtre, sur son essence : Julien Bouffier crée une web radio au cœur du Printemps des comédiens de Montpellier que dirige Jean Varéla. Il y sera beaucoup question de Gabriel Monnet, de son engagement et des spectacles-phares qu’il a créés tout au long de sa longue carrière. Et, de manière toute légitime, le vagabondage de la pensée s’engagera sur le rappel appuyé de Hamlet, une des premières pièces de Shakespeare qu’il a créé dès 1954. Temps révolu, un personnage plongé dans les limbes de l’oubli, apparaissent les fantômes, les spectres de Monnet. L’art du théâtre, c’est bien connu, est un art de fantômes saisis dans de complexes temporalités. Julien Bouffier s’y engage totalement. Voilà, en tout cas, le point de départ du présent spectacle, avec le beau couple formé par Gaetan Guérin et Vanessa Liautey, une fidèle de la compagnie Adesso e Sempre dirigée par Julien Bouffier et dont le président est… le fils de Gabriel Monnet. Nous voici donc longuement embarqués dans les tortueux méandres de la conscience, alors qu’en avant-scène nous sommes dans le studio d’enregistrement de l’émission, juste devant un mur-écran masquant le vieille scène de l’ancienne maison de la culture et sur lequel sont projetés des formes, des figures aux contours parfois flous. C’est ce mur que le fantôme de Gabriel Monnet franchira enfin en le transperçant après une longue attente. Figure spectrale qu’incarne (si on ose dire, tout le paradoxe réside là), avec une présence et une rigueur incroyables, Jean Varéla : Julien Bouffier laisse place aux paroles de Gabriel Monnet qu’il a pu recueillir dans ses textes et autres écrits. Il y a là une force de la pensée que le théâtre et l’art d’aujourd’hui feraient bien de se remémorer (un chœur d’amateur composé de jeunes de la ville rappelle par sa seule présence la nécessaire question de la transmission). On attendait ce moment, Julien Bouffier et Jean Varéla nous le livrent de manière oblique, nous prenant ainsi à revers. C’est subtilement pensé et réalisé, notamment au plan des diverses temporalités du théâtre, de sa mémoire, de son essence et de son avenir.
Photo : © Marc Ginot
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