Une belle et juste partition
Noircisse ! de Claudine Galea. Mise en scène de Sophie Lahayville. Spectacle donné et vu au Théâtre Jean-François Voguet à Fontenay-sous-Bois le 12 mai 2025. Le spectacle sera repris au Théâtre Dunois à Paris du 1er au 10 décembre 2025.
Le texte de la pièce est édité aux éditions Espace 34. 2018. 92 pages, 9,50 €
Réunies au sein de la compagnie Les Femmes sauvages qu’elles ont fondée toutes les deux il y a plus de dix ans, en 2011, Claudine Galea et Sophie Lahayville parviennent à un accord parfait pour la représentation de la pièce de la première nommée, Noircisse !, mise en scène par la seconde. Sophie Lahayville trouve en effet d’emblée la juste tonalité pour rendre compte au plus fin de l’œuvre de Claudine Galea que l’on connaissait depuis 6 ans maintenant puisque la pièce avait paru en 2019 et obtenu le Grand Prix de Littérature dramatique Jeunesse de l’année. Noircisse ! – on se gardera d’oublier le point d’exclamation final – est en effet une œuvre théâtrale à destination du jeune public, mais pas que bien sûr, petite précision qu’il est nécessaire de souligner. Un jeune public qui devrait, au départ, avoir l’âge des protagonistes, soit une dizaine d’années. On ne reviendra pas sur la question, pourtant importante, du théâtre jeune public ni même sur l’hésitation pour le nommer, et sans doute est-il préférable de parler de tout public, contentons-nous de dire que Claudine Galea est l’une des rares personnes à la traiter comme il se doit, sans aucune condescendance. Toute son œuvre (pas seulement théâtrale) l’atteste.
Les quatre protagonistes, deux filles et deux garçons forment un quatuor parfait dans son accord et ses particularités individuelles. Ils ont entre 10 et 14 ans, période cruciale du développement de la vie de tout un chacun où tout peut arriver, s’envoler ou s’effondrer, bifurquer… période de tous les possibles. Difficile donc de la capter au fil de leurs évolutions, ce qui empêche toute fixation qui ne serait jamais que le début d’une certaine mort. C’est bien à une sorte d’hymne à la vie naissante dont il est question. À ce stade Claudine Galea maîtrise son sujet avec subtilité. Le titre de sa pièce déjà, Noircisse !, est une belle invention, terme qui renvoie bien sûr à l’absence de couleur et qui dans sa sonorité fait penser au narcissisme, celui de tous les enfants. Il n’est pas jusqu’aux prénoms de ses « héroïnes » qui ne fasse sens, se mêlent et s’entrelacent. La jeune Hiver donc, celle qui veut « noircisser » tout ce qui est laid, et qui, en revanche est à la recherche de la couleur et de la beauté, alors que son inséparable amie June (juin ou le printemps) la retrouve chaque été au bord de l’océan (un no man’s land ?), chacune avec un seul parent, père pour l’une, mère pour l’autre. Les deux filles vont faire cette année-là l’expérience de la connaissance de deux garçons de leur âge (entre dix et quatorze ans), l’un, Mayo, venu d’ailleurs par la mer – un réfugié – , l’autre, le Petit, un autochtone et qui, eux aussi vont apprendre à se connaître. Chassés-croisés, pas de deux puis quadrilles, troubles des jeux et des sentiments, vraies fausses bagarres, coups de foudre, tout est là rythmé par le ressac de l’océan qui pourrait les engloutir à l’arrivée de la grande marée. Un condensé de toute une vie le temps de son apprentissage en accéléré avec ses ombres et ses lumières et dans toutes ses composantes, le temps de ce moment rare, celui du spectacle.
C’est l’intelligence de Sophie Lahayville d’avoir joué cette partition dans une scénographie d’une extrême simplicité, mais d’une parfaite justesse signée Éric Priano : quelques cubes de tailles et de volumes différents sur lesquels les protagonistes vont véritablement danser, passer de l’un à l’autre, toujours dans un équilibre précaire. Des cubes que l’on peut déplacer au fil de l’évolution de son humeur. Lieu de tous les possibles où l’imagination peut galoper, le tout devant une toile de fond aux images (aux formes) aux couleurs changeantes qui suivent donc, grâce à Raphaël Doucetbon, l’évolution temporelle du parcours et l’humeur des protagonistes. Tout cela est parfaitement réglé par Sophie Lahayville dans une authentique chorégraphie interprétée et assumée avec grâce et vigueur par les quatre comédiens, Carla Ventre, Noémie Guille, Ahmed Fattat et Jules Dupont parfaitement dirigés. Une belle réussite.
Photo : © Olivier Quérot
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