UN IMPOSSIBLE RETOUR VERS LE PASSÉ
Journée de noces chez les Cromagnons de Wajdi Mouawad. Mise en scène de l’auteur. Théâtre national de la Colline. Spectacle en libanais surtitre en français. Jusqu’au 22 mai à 20 h 30, mardi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30. Tél. : 01 44 62 52 52
S’il est une chose que l’on ne saurait reprocher à Wajdi Mouawad c’est bien le manque de cohérence de son œuvre, même si celle-ci peut s’exprimer et prendre des formes parfois différentes d’un texte (même romanesque) à l’autre. Dans ce sens qu’il revienne et mette lui-même en scène une de ses pièces de sa toute jeunesse, Journée de noces chez les Cromagnons, composée avant même Littoral ou encore Incendies qui ont pu asseoir sa réputation, est parfaitement légitime. Reste que cette re-création (l’auteur en a réécrit certains passages) pose de manière aiguë quelques questions.
On comprend bien le désir de Wajdi Mouawad de revenir à cette pièce écrite en 1991, ne serait-ce que pour réaffirmer avec force ce qu’elle portait en germe dans ses thématiques et qui sera largement développé par la suite. Obsessions (en forme de leitmotiv) qui s’articule autour de ce que l’enfant à vécu à Beyrouth, notamment avec le début de la guerre civile et la vision de scènes traumatiques (comme celle du 13 avril 1975, qui allait déclencher la guerre civile et dont il a été témoin du balcon de son appartement). L’homme mûr qu’il est devenu, exilé en France puis au Québec dès l’âge de dix ans, y revient pour affirmer, une fois de plus, qu’il est libanais.
Ce retour va au-delà d’une reprise, même améliorée, de son texte. Pour la première fois, c’est dans la langue arabe que cette « reprise » s’effectue. (Le festival d’Avignon qui s’est échiné en vain à mettre en exergue la (une ?) langue arabe pour sa prochaine édition aurait pu aller y voir de ce côté-là…). Ce retour vers sa langue maternelle, lui qui n’écrit qu’en français, est emblématique d’autant que le spectacle interprété par des comédiens libanais et francophones (quand même) devait être créé à Beyrouth au Théâtre Monnot en avril 2024 mais a dû être annulé au dernier moment parce que Wajdi Mouawad avait signé un texte prônant la réconciliation entre israéliens et palestiniens.
Le spectacle a finalement été créé en 2024 au Printemps des comédiens à Montpellier dirigé par Jean Varéla. Le voici donc au Théâtre de la Colline dans les murs de son directeur. La question étant de savoir si l’on peut impunément revenir sur son passé, sur ce que l’on été il y a plus de trente ans. L’auteur en herbe d’autrefois jette les bases de ce qui sera développé et maîtrisé plus tard, mais tout se passe comme si aujourd’hui on ne percevait que ce qui est de l’ordre de l’inachevé. La fable y est, forte, intéressante avec cette histoire de noces « fabriquée » et un futur époux absent – viendra-t-il, ne viendra-t-il pas ? Avec surtout le noyau familial face à l’enfant (dédoublé) avec le père, la mère, la sœur, fiancée atteinte de narcolepsie et dont le lancinant refrain revient sans cesse en boucle. Tout y est donc avec bande sonore omniprésente pour rythmer le fracas de la guerre. Bref, un dispositif qui en annonce bien d’autres de l’œuvre future. Les personnages y sont aussi, mais quelque chose a du mal à fonctionner. La faute à la longue attente sur laquelle se fonde la trame de la pièce, une attente directement issue de chez Samuel Beckett, deux des personnages féminins (Nelly et Neel) portent même un nom qui rappelle la Nell de Fin de partie. Sauf que cette attente, ici, n’est pas nourrie comme dans Godot… Peu importe après tout en regard de la manière dont Wajdi Mouawad fait jouer, du moins au début, ses comédiens qui surjouent les arabes qu’ils sont pourtant… Du coup, c’est l’artifice du propos qui est ainsi mis en exergue, et c’est une image convenue qu’il nous est donné de voir…
Photo : © Simon Gosselin
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