Ligne Tragique
Œdipe Roi de Sophocle. Mise en scène d’Éric Lacascade. La Scala. Jusqu’au 27 avril à 17 heures et 21 heures. Tél. : 01 40 03 44 30. lascala-paris.com
Il faut savoir gré à Éric Lacascade de sortir des limbes Œdipe roi de Sophocle, pièce trop peu montée surtout en regard de la déferlante de toutes les versions revues et largement corrigées au goût du jour d’Antigone. Pourtant à y regarder de près, la filiation (ce n’est pas un jeu de mots) entre les deux œuvres est évidente et à la cerner de près elle ne peut qu’être enrichissante.
Éric Lacascade avait créé son spectacle, dans la version de Bernard Chartreux qu’il avait très peu retouchée au Printemps des comédiens en 2022. Hommage en quelques sorte au travail marquant de Jean-Pierre Vincent à partir de la même version qui date de 1989… et que les mises en scène suivantes, même à la Comédie-Française avec Jean-Paul Roussillon n’ont pas forcément fait oublier.
À Montpellier la force tragique menée par Christophe Grégoire n’avait pas vraiment convaincu en raison notamment d’une scénographie trop « large », où le tragique semblait se perdre et se diluer dans l’espace. Cette fois-ci Éric Lacascade a resserré le dispositif en arc de cercle d’Emmanuel Clolus, les comédiens s’y sentent plus à l’aise et impriment une rythmique forte telle que les affectionne le metteur en scène dont l’intelligence est de faire du public les captifs des discours politiques du roi-tyran Œdipe. On connaît le processus jusque dans ses tics, et c’est ici très habilement réalisé. Le passage du plein air à Montpellier à la boîte noire de la Scala aura sans doute aussi aidé au resserrement de l’ensemble et c’est bien une épure – la ligne tragique – que trace Éric Lacascade, alors que le rythme sec et fort, comme martelé, est imprimé d’emblée jusque dans son phrasé syncopé par Christophe Grégoire (Œdipe), compagnon de longue date du metteur en scène. Les autres comédiens, Alexandre Alberts, Jérôme Bidaux, Jade Crespy, Otomo de Manuel, Alain d’Haeyer, Christelle le Groux, avec mention spéciale pour Karelle Prugnaud qui, dans le rôle de Jocaste, épouse et mère du tyran, formant avec lui un couple étonnant d’amour (mais oui) de sensualité et de violence, tous sont à l’unisson (même les deux enfants que la loi oblige à alterner tous les soirs), comme les nouveaux venus au sein du groupe (Otomo de Manuel et Karelle Prugnaud donc) qui se fondent dans un ensemble (un groupe) d’une belle cohésion. C’est aussi une excellente idée que d’avoir confié le rôle des représentants du chœur d’ordinaire assignés à de nobles vieillards (pour la sagesse de leurs propos ?) à deux tout jeunes comédiens, Alexandre Alberts et Jade Crespy.
Il y a dans tout cela une brutalité sourde qui ne peut que laisser des traces. Alors que ce sont tous les mécanismes du pouvoir qui soudainement sont mis au jour. En cela, bien sûr, la pièce est éminemment politique et n’est pas, sans qu’il soit nécessaire de la gauchir, sans évoquer ce qu’aujourd’hui encore nous devons subir de la part des grands de ce monde. De la naissance de la démocratie athénienne à aujourd’hui… dans une forme qui ose affirmer sa tradition théâtrale – et qu’Éric Lacascade a toujours respectée – sans tomber dans l’outrance d’une soi-disant modernité.
Photo : © Frédéric Iovino
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