le personnage invisible
L’Amante anglaise de Marguerite Duras. Mise en scène d’Émilie Charriot. Odéon-Théâtre de l’Europe. Ateliers Berthier. Jusqu’au 13 avril à 20 heures, dimanche à 15 heures. Tél. : 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu
On est bien sûr ébloui par le trio de comédiens chargé de donner vie, si on ose dire étant donné le sujet de la pièce, à l’Amante anglaise de celle qui est devenue un mythe de la littérature contemporaine, Marguerite Duras. Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaud et Dominique Reymond, par ordre d’entrée en scène. Et une fois de plus, comme après Un sentiment de vie de Claudine Galea interprété, disséqué par Valérie Dréville, on en viendrait presque par oublier la jeune femme qui les a choisi et dirigé, la franco-suisse Émilie Charriot. Pour être quasiment « invisible » son travail de mise en scène est en réalité un modèle du genre. Dans la direction d’acteur, bien sûr et dont on aurait presqu’envie de dire qu’elle va de soi, au travail de plateau – presque toujours vide, nu dans Un sentiment de vie, une estrade sur laquelle sont posées à distance et face à face deux chaises dans l’Amante anglaise. Ce que réalise Émilie Charriot dans le gestion de la scène, pour être discrète n’en reste pas moins d’une belle justesse et efficacité, comme par exemple tout le travail concernant l’occupation de l’espace et les intensités lumineuses (dues à Yves Godin qui signe bien sûr la scénographie)…
Émilie Charriot disparaît aux yeux des spectateurs derrière la qualité et le prestige de ses interprètes ; c’est simplement oublier que ceux-ci sont dirigés à partir d’un schéma directeur élaboré par une seule personne au besoin soutenue par un ou une dramaturge (Olivia Barron cette fois-ci), ce qui est une lapalissade qu’il est toutefois bon de rappeler…
À la lecture de Marguerite Duras, se saisissant d’un fait divers sanglant survenu en 1949 et qui défraya la chronique, mais qui eut l’intelligence de le revisiter de fond en comble après plusieurs tentatives dans des registres « littéraires » différents (le théâtral, ici, en l’occurrence, en est bien un), afin d’en faire un objet particulier qui porte profondément sa marque par-delà les genres, le défi d’Émilie Charriot – c’est sans doute ce qui l’a attiré dans le projet – était grand, le texte n’offrant a priori guère de prise pour y asseoir un véritable schéma dramatique. Il y a de ce côté-là, de sa part, une authentique gageure qu’elle tient brillamment. Et de manière très durassienne : ce ne sont peut-être plus tant les figures révélées (même de manière aussi remarquable) du mari (Laurent Poitrenaud, presque toujours présent même lors de l’interrogatoire de sa femme) et de la meurtrière (extraordinaire Dominique Reymond sachant dans l’ébauche d’un geste ou d’un regard passer d’un état à un autre et faire surgir un sentiment enfoui au plus profond de son être) qui émergent que celle de l’absente, la cousine sourde et muette, qui ne pouvait que disparaître assassinée et découpée en morceaux.
Ce qui se transparaît, par-delà l’anecdote meurtrière, c’est un travail étonnant sur la langue de Duras dans ce qu’elle décide de montrer comme dans ce qu’elle entend cacher dans un jeu d’intermittences rythmiques dont les trois comédiens jouent avec une réelle virtuosité.
Photo : © Sébastien Agnetti
Dernières nouvelles