Un "Funambule" anecdotique

Jean-Pierre Han

2 mars 2025

in Critiques

Le Funambule de Jean Genet. Conception et mise en scène de Philippe Torreton. Théâtre de la Ville, les Abbesses. Jusqu’au 20 mars à 20 heures. Tél. : 01 42 74 22 77. theatredelaville-paris.com

Du 6 au 10 mai aux Célestins, à Lyon.

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Superbe Jean Genet qui termine son poème adressé à son ami Abdallah Bentaga en 1957 par cette strophe : « Ce sont de vains, de maladroits conseils que je t’adresse. Personne ne saurait les suivre. Mais je ne voulais pas autre chose : qu’écrire à propos de cet art un poème dont la chaleur montera à tes joues. Il s’agissait de t’enflammer, non de t’enseigner »... Genet sort ainsi enfin d’une longue période de silence auquel l’a plongé le pavé de 600 pages de Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr plutôt difficile à digérer malgré ou à cause de son concert de louanges argumentées.

Un poème sur l’art du funambule, du cirque et de la dramaturgie donc, et à cet égard, Genet parle de son propre art, celui du théâtre et de l’écriture dans la relation notamment avec le thème de la mort omniprésente et qui serait vue ici « comme passage à l’essence, à l’idéalité de la danse » Il faut mourir au monde, celui de la quotidienneté pour atteindre la grâce… Mourir au monde Abadallah Bentaga se donnera la mort en 1964. Le chant d’amour que lui adressait des années plus tôt Jean Genet est d’une absolue beauté, mais Philippe Torreton que l’on connaît comme acteur, et qui est également écrivain raconte de très belle manière dans la feuille de salle du Théâtre des Abbesses, sa rencontre avec le poète (j’en recommande vivement la lecture), rate plutôt la représentation du Funambule à qui il coupe les ailes. Il la rate parce que précisément il en reste au ras d’une représentation quasiment réaliste vers quoi l’oriente d’ailleurs la pourtant belle scénographie, mais qui s’avère ici être le type même de la fausse bonne idée, signée Raymond Sarti représentant l’intérieur d’un cirque, avec sa piste, ses agrès, ses lumières et ses couleurs bariolées, mais où il manque peut-être l’essentiel, à savoir (fatalement) le haut du chapiteau... La hauteur, cette fuite vers les cieux c’est ce qui manque à cette carte postale conforme à une certaine réalité. La déréalisation de l’ensemble est peut-être à rechercher du côté de la composition musicale omniprésente signée Boris Boublil, présent sur scène, mais cela ne fonctionne pas plus, car le jeu de Philippe Torreton est décevant. Le chant d’amour, la volonté de l’auteur d’enflammer le funambule, tombe à plat pour la simple raison que le comédien (que l’on a tant et tant admiré dans de nombreuses productions) adopte durant les trois quarts de la représentation une insupportable manière de monter le ton en fin de chaque phrase comme s’il faisait la leçon au funambule. Le spectacle reste anecdotique. Heureusement quelques moments de grâce dus à l’acrobate Julien Posada (en alternance avec Lucas Bergandi) avec la corde tendue à une certaine hauteur viennent éveiller l’attention…

Photo : © Pascale Cholette