Une longue marche vers la mort

Jean-Pierre Han

9 février 2025

in Critiques

Élizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux, d’après J. M. Coetzee. Mise en scène de Krzysztof Warlikowski. Théâtre de la Colline jusqu’au 16 février 2025. Tél. : 01 44 62 52 52.

Spectacle vu au Festival d’Avignon 2024.

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C’est une fusée à plusieurs étages qu’allume Krzysztof Warlikowski avec cette Élizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux. Chaque étage – c’est le processus habituel – une fois sa mise à feu effectuée propulse la suivante, etc. On peut aussi dire qu’ici les choses s’emboîtent les unes dans les autres ; ce pourrait être jusqu’à l’infini.

À la base il y a l’écrivain d’origine sud-africaine mais vivant en Australie, connu et reconnu, nobélisé, J. M. Coetzee, auteur d’un roman, Elizabeth Costello, paru en 2003 composé d’une série de conférences que le personnage, une célèbre autrice australienne, donne dans des universités américaines. Il se trouve que certaines de ses huit conférences ont été faites par Coetzee en personne, ce qui lui permet de revenir sur la question de l’abattage des animaux qu’il (elle) n’hésite pas à comparer à l’Holocauste… Premier élément de trouble, et pas seulement par rapport au sujet évoqué. Faut-il entendre qu’Élizabeth Costello ne serait que l’émanation (forcément !) de l’auteur, un double, porte-parole de son esprit et de sa pensée ? Et bien pas du tout, essaye de nous dire Coetzee, l’écrivaine inventée, nous suggère-t-il en la dessinant, a une si forte personnalité qu’elle réapparaît dans deux autres de ses romans, L’Homme ralenti et L’Abattoir de rêve. Pourquoi pas, cela arrive chez nombre de romanciers. Là où cependant les choses diffèrent, c’est que le personnage, ici, semble vouloir s’échapper de la férule de son créateur et vivre une vie autonome, ce que pourrait donner à croire ce que l’on voit sur le plateau du théâtre de la Colline. Or c’est bien un personnage composé par le metteur en scène Krzysztof Warlikowski qui nous est offert, à partir, en fin de compte de trois œuvres romanesques et non plus d’une seule. Le tout étant d’ailleurs agrémenté – autre étage de la fusée – du propre parcours du metteur en scène, ce qui explique les citations de Kafka et notamment son Rapport pour une académie réalisé par un comédien déguisé en singe sur le plateau. En 2011 Warlikowski, avec Koniec, avait déjà réuni au sein d’un même spectacle Kafka et l’Élizabeth Costello de Coetze, avec un scénario (Nickel Stuff) de Bernard-Marie Koltès. C’est bien le dernier étage de la fusée, une réflexion sur sa propre œuvre que le metteur en scène polonais met en orbite. Qui parle en fin de compte dans le représentation ? Et de quoi parle-t-on ? Sinon d’une longue descente vers la disparition d’Élizabeth Costello, temps de vie sur terre écoulé.

À certains égards on peut dire que c’est une œuvre testamentaire que nous offrent Coetze et à sa suite Warlikowski. Et comme par hasard c’est celle d’Élizabeth Costello dont il est question sur le plateau, avec notamment toute la dernière partie du spectacle à la fin de laquelle c’est dans un couloir de la mort que va s’engager la vieille femme qu’est devenue l’héroïne, interprétée tout au long de son parcours de vie par six comédiennes différentes suivant leur âge. Long parcours effectivement, trop long même dans la mise en scène avec la multiplication (par sept donc) des séquences autour du personnage quasiment unique. Les pièces du puzzle ne s’agencent pas toujours facilement. Même si, bien sûr la partition scénique de Warlikowski est parfaite avec ses comédiens du Nowy Teatr de Varsovie dans le décor de Malgorzata Szczesniak qui nous est déjà familier.

Photo : © Christophe Raynaud de Lage