Changement de registre
Le Misanthrope de Molière. Mise en scène de Georges Lavaudant. Créé le 24 janvier 2025 à la Cité européenne du théâtre/Domaine d’O. (Montpellier). Jusqu’au 29 janvier à 20 heures. Puis tournée les 1er et 2 mars 2025 à La Comète, Châlons-en-Champagne, du 12 au 30 mars 2025 à l’ Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, Paris.
Mais où sommes-nous donc ? Dans quel type de comédie, puisque comédie il y a comme officiellement indiqué lors de la publication du texte du Misanthrope en 1667 ? Questions que l’on ne peut que se poser à la vue du travail de Georges Lavaudant et de son équipe et qui ne cessera de nous hanter durant le déroulement du spectacle. Le registre de jeu est-il bien celui d’une comédie, terme qu’il conviendrait de définir, et que Molière en personne n’a cessé durant tout sa carrière d’y apporter en toute liberté et inventivité des réponses diverses et variées, à preuve Dom Juan ou encore Tartuffe pour ne prendre que ces deux exemples. On remarquera au passage la proximité chronologique de l’écriture et de la création des trois pièces citées…
À voir évoluer les personnages du Misanthrope dans la mise en scène de Lavaudant quasiment tous de noir vêtus, dans un sorte de rigueur d’apparat, l’impression prédomine d’une authentique tragédie donnée au cœur des reliquats de l’éclat de la Cour avec son envers intime – de ce point de vue l’espace géré par Jean-Pierre Vergier, maître d’œuvre également de la création des costumes, est à la fois juste et parlante. L’espace scénographique est éclairé comme toujours par le metteur en scène et Cristobal Castillo-Mora, ce qui donne à l’ensemble du plateau avec sa gamme de lumières blanches, une tonalité en parfait accord avec l’intéressante création sonore de Jean-Louis Imbert. La partition est donc parfaite et cohérente dans son propos. Il s’agit bel et bien de faire « le portrait du Monde » en mettant « dans une seule Pièce, la dernière main au Portrait du Siècle » ainsi que le stipulait Donneau de Visé – et Molière en était certainement d’accord – dans sa « Lettre écrite sur la comédie du Misanthrope » qui ouvre la publication du texte de l’œuvre à son origine en 1662. On pourra même ajouter que cette « comédie mondaine » visait aussi, d’une certaine manière, à défendre le Tartuffe en butte aux attaques que l’on sait et qui était en cours de modifications au moment même de l’écriture du Misanthrope.
La « comédie humaine » est saisie de manière quasi tragique, presqu’à la Daumier parfois même parce que poussée à son extrême et réglée de main de maître par Lavaudant avec une distribution de haut vol dessinant sur le plateau des sortes de caricatures vivantes : personnages s’agitant en tous sens, humanité disparue, hormis justement, Célimène et Alceste dont les personnalités de détachent des figurants du beau monde. C’est aussi faire de la jeune veuve (Mélodie Richard) une femme qui revendique sa liberté quels qu’en soient les attendus, ce en quoi elle est parfaitement dans l’air du temps, c’est faire d’Alceste (Éric Elmosnino), qui ne cesse de s’agiter, de jouer des mains, non plus un être ridicule, comme le voudrait sans doute la tradition comique « classique », mais quelqu’un à l’indéniable souffrance, en décalage complet avec le monde d’alors et sans doute d’aujourd’hui. Tout cela est rehaussé par l’ensemble de la distribution (d’Astride Bas à Mathurin Voltz en passant par Luc-Antoine Diquéro, Anysia Mab, François Marthouret, Aurélien Recoing, Thomas Trigeaud et Bernard Vergne, une authentique famille théâtrale), tous au mieux dans leur maintien et la subtle gestion des alexandrins et de leurs subtiles gammes de Molière.
Photo : © Marie Clauzade