Rendez-vous en demie teinte

Caroline Châtelet

22 janvier 2025

in Critiques

Le Rendez-vous de Katharina Volckmer. Adaptation de Camille Cottin et Jonathan Capdevielle. Mise en scène de Jonathan Capdevielle Théâtre des Bouffes du Nord jusqu'au 25 janvier à 20 heures. Tél. : (0)1 46 07 34 50. e-mail : location@bouffesdunord.com

Puis tournée à la MC2 Grenoble ; Bonlieu, Scène nationale d’Annecy ; Radiant-Bellevue, Caluire-et-Cuire ; L’Onde, Théâtre Centre d’Art Vélizy-Villacoublay ; La Coursive, Scène nationale de La Rochelle ; Théâtre du Vésinet ; Opéra de Vichy ; Bâtiment des Forces Motrices, Genève ; Théâtre de Beausobre, Morges (Suisse) ; Châteauvallon-Liberté, Scène nationale, Toulon ; Anthé Antipolis, Théâtre d’Antibes ; TnS, Strasbourg ; TAP, Poitiers ; Scènes du Golfe, Vannes ; Le Cratère, Scène nationale d’Alès ; L’Ombrière, Pays d’Uzès ; Le Parvis, Scène nationale Tarbes Pyrénées.

camille-cottin-dans-le-rendez-vous-mise-en-scene-de-jonathan-capdevielle-dapres-jewish-cock-de-katharina-volckmer-credit Photo Aloïs Aurelle

Quelques jours après avoir assisté au Rendez-vous, ce qui demeure en mémoire est… sa scénographie – un constat qui renseigne sur les réussites et ratés de ce spectacle. Quiconque a déjà assisté à un spectacle de Jonathan Capdevielle sait à quel point les espaces scénographiques – conçus par Nadia Lauro – occupent une place prégnante dans le travail du comédien, marionnettiste et metteur en scène. Il y a toujours chez lui un entremêlement subtil entre espace concret et métaphorique, aussi bien dans les textes que dans la mise en scène et la direction d'acteurs. La scénographie du Rendez-vous ne déroge pas à cette règle avec son immense rideau violet occultant le fond de scène et se répandant sur le plateau en faisant des plis, des replis et des amoncellements. Ce rideau – étrange monstre animé au sol d'un souffle palpitant –, en nous renvoyant à ce qui structure le lieu du théâtre, à ce qu'on montre, représente, exhibe, comme à ce qu'on camoufle, est aussi une représentation déplacée d'un autre tissu : celui masquant la partie d'un corps lors d'une opération. Or, l'homme à qui s'adresse dans un monologue quasi ininterrompu la protagoniste du roman de Katharina Volckmer (jouée par Camille Cottin) est un soignant. Non pas un psychanalyste, comme le laisse supposer les confidences de l'une et les réponses laconiques de l'autre, mais son gynécologue. Il se noue dans ce quiproquo initial – dissipé rapidement – l'une des nombreuses ambiguïtés émaillant Le Rendez-vous. Car dans ce roman paru en 2021, l'écrivaine allemande (née en 1987) installée en Grande-Bretagne déplie un portrait de femme intrigant, détonant, un brin crispant (son écriture a pu être rapprochée de celles de Thomas Bernhard ou de Philip Roth). La première « sortie » de cette femme que l'on entend avant de voir – la partie à vue de son corps étant ses jambes, repliées comme pour un examen gynéco – est : « Une nuit j'ai rêvé que j'étais Hitler ». Derrière l'incongruité initiale et passé la provocation adressée à son médecin qui, lui, est juif, se dit la culpabilité de cette allemande concernant le nazisme. Celle qui a fui son pays d'origine tant elle l'abhorre évoque sa famille, son enfance, son désir d'avoir un pénis comme son père, la découverte d'un frère mort avant sa naissance, son histoire d'amour avec un homme, K., (« K. » comme Kafka), son incapacité à aimer, etc. D'associations libres en réminiscences de souvenirs d'enfance, ce personnage se livre à une mise à nu qui semble calculée. Comme s'il s'agissait de tester ce médecin qu'elle ne cesse de renvoyer à sa judéité et à laquelle elle oppose sa culpabilité allemande. Une position qui se répercute sur nous, spectateurs et spectatrices observant les contorsions physiques comme psychiques du personnage et son obsession centrale : sa phalloplastie (origine de sa présence chez le gynéco), le changement de sexe étant l'un des rares changements d'identité sur lequel elle a prise. Tout pénis issu d'une phalloplastie étant circoncis (une précision qui n'est pas donnée dans le texte, une ambiguïté de plus), l'opération se charge chez elle de l'ambition de s'éloigner de sa germanité. On le redit, le texte singulier, volontiers grinçant soulève diverses questions : jusqu'à quel point est-il possible de se défaire de son identité ? En assommant son médecin juif de sa haine de l'Allemagne et de son désir d'un « pénis juif » cette femme ne prolonge-t-elle pas une forme de violence ? Son désir de changement de sexe a-t-il pour partie à voir avec le refus de donner naissance à des enfants allemands ? Sauf que l'ensemble ne convainc pas et nous maintient à distance de ces divers enjeux. Pourtant, Camille Cottin – qui fait son retour au théâtre – porte du mieux qu'elle peut sa partition. Les changements de costumes – et l'« effeuillage » l'amenant à arborer un legging et un justaucorps écarlates participent de l'étrangeté, tout comme le travail sur la désynchronisation de la voix et l'environnement sonore. Las, à être trop écrite, à trop travailler les espaces métaphoriques, la mise en scène en vient à verrouiller le tout. En dépit de sa conviction, la comédienne manque de la plasticité de jeu nécessaire pour subvertir le dispositif. Le résultat est un spectacle qui, étouffé par ses métaphores et métonymies diverses, s'enferre dans ses propres circonvolutions et se révèle singulièrement manquer de chair, de relief et au final… d'ambiguïtés.

Photo : © Aloïs Aurelle