La complexe simplicité des mondes de Samuel Gallet
Le Pays innocent, texte et mise en scène de Samuel Gallet. Spectacle vu le 17 janvier 2025 au Théâtre de Châtillon. Tournée le 24 janvier au Centre culturel de La Courneuve à Houdremont, le 31 janvier au Théâtre des Bergeries à Noisy-le-Sec, du 6 au 14 février au TGP de Saint-Denis, le 20 février à la Scène nationale du Creusot, du 7 au 10 mais au Théâtre de la Joliette à Marseille et le 15 mai à la Scène nationale de Dieppe.
Spectacle lauréat 2023 du groupe des 20 Théâtres en Île-de-France
Voilà maintenant dix ans révolus que Samuel Gallet a créé le collectif Eskandar du nom d’une ville imaginaire dont il ne cesse, au travers de plusieurs spectacles, d’explorer chaque recoin en faisant surgir sa réalité imaginaire. Au moins deux de ses créations portent des titres on ne peut plus explicites sur sa démarche dans son lieu d’action : La bataille d’Eskandar et Visions d’Eskandar. Car il est bien question de « bataille » et de « vision », notions que l’on retrouve aujourd’hui au cœur de son dernier opus, Le pays innocent, un titre qui pourrait apparaître comme une sorte d’aboutissement des batailles et des visions de l’auteur metteur en scène, à Eskandar et ailleurs ; C’est cet aboutissement qui est mis au jour sur le plateau avec Le pays innocent, et à cet égard, l’image finale du spectacle réunissant tous les protagonistes, l’enfant, le petit spationaute (Fabien Chapeira), le vieil homme – fatalement sage ? – (Gauthier Baillot), la garde forestière (Caroline Gonin), la mère (Olivia Chatain), avec, bien sûr les deux musiciens (Nadia Ratsimandreysy et Mathieu Goulin), ne laissant guère de doute, semble-t-il, sur l’issue de la fable.
Tout débute par le franchissement de l’enfant des « portes de corne ou d’ivoire qui nous séparent du monde invisible » comme aurait dit Nerval, de l’enfant jeté par sa mère qui l’a travesti en spationaute dans un trou noir vers un monde situé de l’autre côté du miroir comme aurait ajouté de son côté Lewis Carroll. Peu importe la dénomination de cet autre espace temps, de cet autre pays, « innocent » comme le précise l’auteur. C’est dans cet infini que le petit spationaute va naviguer, retrouver les géants d’un temps antédiluvien et vont jusqu’à ignorer les termes de guerre, de conflit, de violence et qui vivent (donc) heureux, à regarder les étoiles et l’infini des cieux. Pas de problème : à toucher ainsi au but, dans l’heureuse conclusion d’une fable (écologique), un conte de fée, d’ailleurs les premiers mots de ladite fable commencent par le traditionnel : « il était une fois »… Mais ne nous y trompons pas, Samuel Gallet, comme toujours, nous livre une vision des espaces temporels dans lesquels nous baignons bien plus subtil qu’il n’y paraît. S’il y a « bataille » comme le stipule le titre d’une de ses pièces, c’est parce que le réel – la réalité – est bien là qui le dispute à l’imaginaire, s’entremêle à lui dans une incessante et peut-être douloureuse friction. Ce n’est pas un hasard si le point de départ de sa fable s’accapare de l’atroce fait divers d’une mère ayant jeté son bébé par la fenêtre du huitième étage : ce qui importe ici c’est la transformation que l’auteur-metteur en scène opère avec cette insupportable réalité, en cherchant les raisons de cet acte destiné à sauver l’enfant que la mère propulse dans un autre univers, sur une autre planète, simplement pour échapper à la catastrophe qui nous guette.
Le dispositif mis en place au plan de l’écriture tout comme sa résolution théâtrale absorbe la complexité de la pensée. Le sextuor qui évolue dans l’espace scénique (signé Aude Vanhoutte) aux lignes toujours clairement dessinées assume avec une belle justesse la partition, terme à entendre dans ses différentes acceptions puisque la partie musicale de Nadia Ratsimandresy et de Mathieu Goulin qui ne quittent pas la scène s’avère d’une importance et d’une beauté capitales, accompagnant en les rythmant, en les prolongeant, les différents registres de paroles (poétiques, narratives, dialoguées, récitées, fragmentées…) des comédiens. Il y a là comme une épure qui gomme toute la complexité de la démarche de Samuel Gallet.
Photo : © Simon Gosselin