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Jean-Pierre Han

2 décembre 2024

in Critiques

Deux sœurs de Marine Bachelot Nguyen. Mise en scène et interprétation d’Océane Mozas. Les Plateaux sauvages jusqu’au 07 décembre, puis tournée au CDN de Reims (10-13 décembre), La Ferme du Buisson-Noisiel le 25 janvier 2015. Tél. : 01 83 75 55 70.

Deux_soeurs©Francois_Passerini_9

C’est un phénomène qui, sans être tout à fait nouveau, s’est développé ces dernières années de manière assez forte dans le monde théâtral pour attirer notre attention (et pour ne parler que de ce seul secteur qui nous intéresse ici, mais on pourrait aisément faire le même constat dans le domaine littéraire) : celui d’un « retour » ou plutôt d’une recherche de ses origines familiales, liée à l’affirmation, voire la revendication – c’est une lapalissade – de sa propre identité. Ce phénomène touche particulièrement des originaires de l’Asie, du Vietnam notamment. Et bien sûr tout le monde aura songé, succès oblige, à Caroline Guiela Nguyen et son Saïgon et surtout à ses petites formes qu’elle aura réalisées par la suite. Mais je songe davantage, et de ce point de vue Océane Mozas nous donne parfaitement raison, à Marine Bachelot Nguyen, qui ne cesse d’écrire (elle est aussi une autrice de très belle facture), d’un sujet à l’autre, d’une manière ou d’une autre autour de la question du Vietnam et de ses propres origines, ouvrant à son habitude la réflexion qu’elle mène à une analyse politique des événements. On remarquera au passage qu’aussi bien Caroline Guiela Nguyen que Marine Bachelot Nguyen ont pu dans un premier temps mener à bien leurs recherches avec l’aide des instances officielles aussi bien françaises qui vietnamiennes.

On connaissait et appréciait Océane Mozas en tant que comédienne dans de nombreuses productions de belle facture. Avec Deux sœurs elle dévie de sa trajectoire, l’oriente vers une dynamique personnelle en s’appuyant sur un texte de Marine Bachelot Nguyen – dont elle conserve le titre –, l’adapte, conçoit son spectacle (avec l’aide d’Igor Skreblin), le met en scène et l’interprète. Logique et nécessité obligent : il est question dans cette œuvre de sa propre histoire familiale, du moins dans son schéma et sa structure, ceux d’une recherche de ses origines familiales vietnamiennes. À cette nuance près aussi que Marine Bachelot Nguyen dans Deux sœurs effectue une mise en perspective renvoyant aux deux sœurs – devenues légendaires – de l’histoire du pays de la branche maternelle de sa famille, les sœurs Trung qui libérèrent le Nord Vietnam de l’envahisseur chinois, levant notamment une armée essentiellement composée de femmes… C’est bien du côté féminin des familles que les histoires – Océane Mozas a été saisie par les événements relatés par Marine Bachelot Nguyen, trouvant de nombreuses correspondances dans le parcours de cette dernière et le sien propre. Pas au point cependant de donner une coloration (et une réflexion) politique aux événements. Océane Mozas préfère rester dans le domaine intimiste des choses de la vie. Tout son travail scénique, et son interprétation, l’y engagent. Si l’on s’en tient à cette « direction » ce qui est réalisé sur scène est parfaitement réussi, avec en avant-propos – le spectacle débute ainsi – concernant finalement le cœur même peut-être du questionnement évoqué : celui de la langue qu’elle ne connaissait absolument pas et qu’elle tente de captiver, avec l’accent si possible, mot après mot. En ce sens c’est à une authentique et très touchant roman (théâtral) d’apprentissage auquel nous sommes conviés.

Photo : © François Passerini