Un spectacle ambitieux
Requiem pour les vivants, écriture et mise en scène de Delphine Hecquet. Spectacle créé à la Scène nationale du Sud-Aquitain eu Théâtre Quintaou, le 20 novembre 2024. Tournée à Tarbes, Mont-de-Marsan, Brive, Périgueux, Angoulême, Saintes, Martigues, Toulon, Poitiers, Albi.
À observer la trajectoire artistique de Delphine Hecquet en tant qu’autrice et metteure en scène, le moins que l’on puisse dire est qu’elle possède l’art de choisir des sujets décalés par rapport à ceux imposés par la mode ambiante, touchant néanmoins avec subtilité à tout ce qui ressortit à nos préoccupations, dans des sujets qui semblent de prime abord ne pas s’en soucier. Que ce soit dans le dialogue entre un détenu et une romancière dans un parloir de prison (Balakat), ou dans un espace clos analogue que l’on retrouvera plus tard abritant les discussions d’une jeune fille avec sa mère qui a empoisonné son mari qui la violentait (Parloir). Entre-temps elle était allée à la recherche des Évaporés (ces personnes qui disparaissent chaque année au Japon sans laisser aucune trace)… Sa toute dernière création qui vient d’être donnée à la scène nationale du Sud-Aquitain à Anglet ne dépare pas ce rappel des thématiques originales. Il est pourtant bien question, lové dans son sujet, d’un profond travail sur les questions de vie, de séparation et de disparition, de mort et de deuil, ce qui a priori n’a forcément rien d’original, sauf, encore une fois pour ce qui concerne le sujet choisi ici et son traitement, dans des formes particulières.
L’enjeu est posé dès l’annonce du titre, Requiem pour les vivants, nous plongeant (pardon pour le vilain jeu de mot !) d’emblée dans le sujet – ode à la vie avec son envers ou son complément mortuaire – et son traitement – musical chanté dans la même tonalité funèbre et religieuse (chapitres comme le Requiem final donc après le Dies Irae par exemple clairement annoncés sur l’écran disposé en fond de scène). La structure est ainsi exposée et impose son rythme.
Ce qui ressort néanmoins de l’ensemble du spectacle, dans ce qui de prime abord pourrait sembler paradoxal demeure une formidable unité de pensée et de travail, alors que pour mener à bien son propos, Delphine Hecquet n’hésite pas à faire appel à des registres artistiques différents : théâtral, « traditionnel », auquel viennent se mêler le chorégraphique (rappelons les origines de formation en danse contemporaine de l’intéressée au Conservatoire de Bordeaux), musique, danse, vidéo… autant de gammes qui s’entremêlent mais qui restent dans une même dynamique. Ayant choisi d’évoquer ces groupes (la notion de groupe est ici prédominante) de jeunes gens qui jouent leur vie à sauter du haute de corniches, de falaises ou autres rochers abrupts – exemples tirés de ce qui se passe notamment et réellement du côté de Marseille dans les calanques, Delphine Hecquet et ses camarades de plateau tentent de saisir ce qui est pratiquement de l’ordre de l’insaisissable : que se passe-t-il durant les quelques secondes du saut, que touchent les corps des plongeurs qui fendent l’air (et peut-être le temps) ?… Quels éléments de vie à vif ?… La résolution théâtrale, en groupe, est tout simplement, en certains moments (comme ceux, répétés – dans tous les sens du terme –, de l’annonce de la mort de l’un des protagonistes à sa mère), étonnante de force et de beauté (chorégraphies signées Angel Martinez Hernandez et Vito Giotta). C’est en réalité tout le générique, à chaque poste (scénographie qui joue à merveille de la hauteur et du vide, musique, vidéo… du spectacle) qu’il conviendrait de citer tant chaque élément a été travaillé jusqu’à incandescence. On n’oubliera pas non plus, même si chaque interprète (Marie Bunel, Damoh Ikheteah, Claire Lamothe, Léo-Antonin Lutinier, Angel Martinez Hernandez, Julien Ramade, Hugo Thabaret, Mathilde Viseux) a apporté sa contribution, le travail d’écriture de Delphine Hecquet en authentique et vive autrice.
Photo : © Simon Gosselin