Un moment de rare bonheur
Dialogues de bêtes de Colette. Mise en scène d’Elisabeth Chailloux. Théâtre du Lucernaire, jusqu’au 12 janvier 2025, à 19 heures du mardi au samedi, à 15 h 30 le dimanche . Tél. : 01 45 44 57 34. www.lucernaire.fr
Il faut le dire d’emblée et les en remercier grandement, deux femmes, la comédienne Lara Suyeux, l’initiatrice du projet, et sa metteure en scène Elisabeth Chailloux qu’accompagne pour l’occasion le dessinateur Cyrille Meyer dans un coin de la scène et qui « installe » graphiquement en temps réel le décor, nous offrent un moment rare de plaisir et de bonheur : quelques Dialogues de bêtes de Colette. Elles le font avec un doigté, une sensibilité, et surtout un respect et un amour profond de la langue de l’écrivaine dont on se rappellera qu’elle est l’une des plus grandes prosatrices de son temps, celui du début du XXe siècle. Ses Dialogues de bêtes débutent en 1904, date de sa première publication, et ne font effectivement que débuter car il y aura quelques ajouts, jusqu’en 1930 – preuve qu’ils n’étaient peut-être pas aussi anodins que cela – à ses quatre premières conversations auxquelles viendront s’en ajouter huit autres. Au seul plan de la carrière littéraire de Colette, ils ont à marquer d’une pierre blanche car, en signant de son propre nom, Colette Willy, elle semble s’affranchir de sa tutelle maritale et de la série des Claudine, publiée sous le nom du seul Willy…
La distribution – car distribution il y a comme dans toute vraie pièce de théâtre (il y a même des didascalies !) – relève donc clairement de l’art théâtral, et nous désigne donc les quatre principaux personnages : Kiki-la-doucette, chat des Chartreux, Toby-chien, bull bringé, Lui et Elle, « seigneurs de moindre importance », comme il est dit. On aura donc compris que l’autrice, Colette, se met elle-même en scène avec son époux Willy et leur deux animaux domestiques qui ont réellement existés… un formidable quatuor donc que l’on saisit au fil de leur vie quotidienne, le duo Kiki-la-doucette et Toby-chien se chargeant, dans un vrai faux accord et au gré de leurs piques affectueusement vachardes l’un à l’égard de l’autre, de nous la conter. C’est écrit avec une réelle et très jouissive virtuosité dont elle régale et nous régale à son tour, avec talent et justesse, Lara Suyeux, sous la discrète direction d’Elisabeth Chailloux.
Photo : © Nadège Le Lezec