Les Combats d'Alice Laloy

Jean-Pierre Han

17 octobre 2024

in Critiques

Le Ring de Katharsy d’Alice Laloy. TNP de Villeurbanne jusqu’au 19 octobre à 19 h 30 (sauf samedi à 18 h et dimanche à 15 h 30). Tél. : 04 78 03 30 00. Puis tournée à Dunkerque, au TNS, au T2G Gennevilliers (Festival d’automne) du 5 au 16 décembre…, etc.

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Marionnettiste ayant jadis fait ses classes en section scénographie-costume au TNS, Alice Laloy n’aura bien sûr pas manqué de lire le petit texte de Kleist, Sur le théâtre de marionnettes, pour en tirer le meilleur profit. D’une certaine manière son travail et tout particulièrement sa dernière création, Le Ring de Katharsy, décline presqu’à l’infini, et dans la dynamique de notre temps, les très précis et très pertinents propos de l’auteur allemand. C’est une mécanique appliquée au vivant (à moins que ce ne soit le contraire) qu’Henrich von Kleist décrivait avec une précision d’horloger dans son opuscule. C’est une dynamique liée à une pensée qu’Alice Laloy s’évertue à son tour de mettre en pratique comme on avait déjà pu le constater dans son travail – et ses différentes moutures – sur Pinocchio notamment. C’est ce qu’elle développe en ouvrant encore davantage le spectre de sa pensée dans Le Ring de Katharsy où elle part du vivant pour s’en aller mettre en perspective tout en nous mettant en garde contre tout ce qui dérive vers un ordre mécanique, dans une volonté de négation de la réalité.

Il est bien question dans ce Ring de manipulation dans tous les sens du terme, et pas seulement celui concernant la manipulation marionnettique. Rien d’étonnant si Alice Laloy et son équipe (à ce stade de création, ce terme prend ici tout son sens) s’en vont vers un autre type de création, et abordent la question du jeu vidéo qui désormais impacte notre quotidien et le ronge. Pour ce faire elle crée avec sa fidèle collaboratrice Jane Joyet un dispositif scénographique écrasant, imposante et terrifiante machine – une installation monumentale – qui, en se soulevant en début de spectacle révélera précisément l’aire de jeu (le ring) sur lequel se dérouleront les combats, car il est bien question de combat ce que le titre du spectacle annonce, sachant aussi que si l’on veut s’en tenir à ce très explicite titre, Le Ring de Katharsy, on pourrait – restons dans le jeu – déceler dans cette dernière appellation l’amorce d’un autre terme, celui de catharsis…

À ce stade il faut bien sûr souligner la sombre beauté de toute cette machinerie. Alice Laloy ne cache pas ce qu’elle doit au plasticien Hans Op de Beeck dans la tonalité de l’ensemble ; elle lui doit encore plus dans ce que l’artiste belge développe dans ses œuvres, notamment dans la réflexion qu’il établit dans la relation nouvelle du temps et de l’espace. C’est cette relation qui nous est proposée sur le plateau d’Alice Laloy avec ses « personnages » (il y en a une étrange palette : mi-humains, mi-marionnettes). En fait c’est une « gigantesque machine à rêver » qui nous est offerte ici, expression de Michel Houellebecq à propos de H.P. Lovecraft… qui ajoute une pertinente réflexion sur la question du jeu vidéo, bien plus pertinente et intéressante que celle proposée il y a un plus d’un an par Marion Siefert.

Photo : © Simon Gosselin