Sorcières (d') aujourd'hui

Jean-Pierre Han

7 octobre 2024

in Critiques

Sorcières (titre provisoire) de Penda Diouf. Mise en scène de Lucie Berelowitsch. Création le 1er octobre au Préau, CDN de Normandie-Vire.

Tournée le 18 octobre à Tessy-Bocage, le 14 novembre 2024 à Domfront en Poiraie, le 28 novembre à Bayeux, les 21 et 22 janvier 2025 à Lyon, le 28 janvier 2025 au Bocage-Barenton, le 4 février 2025 au Val-de-Reuil, les 27 et 28 février 2025 à Deauville. Tél. au Préau : 02 31 66 16 00.

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Pour n’être pas totalement original, le projet de Lucie Berelowitsch de travailler avec l’autrice Penda Diouf, autour de la question de la sorcellerie, n’en est pas moins passionnant. Le titre du spectacle, déjà, est intéressant : Sorcières (titre provisoire)… On pourra toujours s’interroger sur cette très polysémique parenthèse qui, à certains égards, donne le la de la représentation. À juste titre (sans jeu de mot !) la metteure en scène a resserré le focus de son projet. Il ne s’agit donc pas, dans son propos, de parler de sorcières au sens générique du terme – sauf à se retrouver devant une documentation sans doute impossible à gérer dans le cadre restreint d’un spectacle, de Michelet à une infinitude de documents, témoignages et autres écrits sur le sujet, mais de resserrer l’objet de sa recherche avec Penda Diouf autour de la région où est installé le CDN du Préau qu’elle dirige, répondant du même coup à ce qui est aussi – et surtout ? – de l’ordre d’une mission de service public.

On rappellera aussi que Sorcières fut le titre d’une revue féministe créée par Xavière Gauthier dans les années 1970 et que c’est de nos jours le titre d’un livre de Mona Chollet… ce qui situe l’exacte filiation dans laquelle Lucie Berelowitsch et Penda Diouf (artiste associée au Préau) situent leur travail.

Les deux jeunes femmes ont décidé de partir en quête de témoignages touchant de près ou de loin à la « sorcellerie », soit tout ce qui concerne les croyances, rituels et autres superstitions auxquels des habitants du Bocage normand sont confrontés dans leur vie quotidienne. Elles ont donc, pour ce qui concerne leur méthodologie, mis leurs pas dans ceux de l’ethnologue tunisienne Jeanne Favre-Saada notamment dans son ouvrage Les mots, la mort, les sorts, puis avec Josée Contreras, dans Corps pour corps : enquête sur la sorcellerie dans le bocage, textes parus à la fin des année 1970 et le début des années quatre-vingt. Démarche plutôt ambitieuse qu’il aura fallu « réduire » dans un cadre théâtral, celui d’une fiction fantastique, mais tout de même avec comme point de départ un cheminement désormais plutôt courant dans le théâtre d’aujourd’hui, celui d’une enquête de terrain, documentaire si l’on veut.

Restait à Penda Diouf, au plan de l’écriture, d’inventer une fiction (une fable ?), et à Lucie Berelowitsch, au plan scénique, de nous transmettre théâtralement le résultat de leur propre travail d’investigation. Et donc de trouver l’axe de la représentation qu’elles entendaient nous proposer. Celui-ci, est finalement relativement simple : maison « hantée » en pleine campagne qu’une jeune femme, Sonia interprétée par Sonia Bonny, décide d’habiter en souvenir de celle qui l’a occupée – une aïeule – et qu’une amie (Clara Samia Schmit), moins « hantée » qu’elle, vient soutenir, et alors que d’étranges personnages, tous incarnés par Nathalia Halanevych des Dark Daughters, interviennent régulièrement apportant des touches supplémentaires de décalages d’avec le réel… Le tout dans une très juste décor intérieur de la demeure, habilement conçu dans son agencement et sa tonalité par les scénographes François Fauvel et Valentine Lê. Tous les éléments sont donc bien réunis ici (un peu trop même, notamment dans l’écriture de Penda Diouf à certains moments) pour nous faire partager avec bonheur ce moment où la prosaïque réalité commence à basculer pour déboucher dans quel abîme et surtout sur quelles réflexions ?

Photo : © Alban Van Wassenhove