Faiseurs de miracle
Les Zébrures d’automne, festival des créations théâtrales, du 25 septembre au 5 octobre 2024, à Limoges. Tél. : 05 55 33 33 67. billetterie@lesfrancophonies.fr
Autant l’avouer, avant chaque nouvelle édition d’une Zébrure festivalière (pardon d’utiliser cette appellation impropre pour une manifestation plus que quadragénaire, mais comme après tout elle possède déjà tant de titres, des Zébrures d’automne au Festival des créations théâtrales, en passant par Les Francophonies, des écritures à la scène, après le Festival des francophonies en limousin, etc., je me permets sans vergogne d’en ajouter une autre à cette petite liste…), avant chaque nouvelle édition donc je suis pris d’une réelle inquiétude : comment va se porter et se porte le bel animal rayé ? En d’autres termes, sera-t-il bien là, égal à lui-même ? Légitime crainte si on veut bien considérer la fragilité qui est sienne, pas franchement bien soutenue par les autorités dont ce serait pourtant la mission que de le faire, le tout en un temps, « où le pays » comme le constate Hassane Kassi Kouyaté, le directeur, « se trouve dans une grisaille monumentale ». Or, à chaque fois, et cette année encore, une fois de plus, le miracle se produit : les Zébrures d’automne dans l’exacte continuité et développement des Zébrures de printemps parvient à proposer à ses participants et invités une manifestation festivalière particulièrement bien pensée, soit onze jours articulés autour de deux gros week-ends chargés de créations, mais aussi de rencontres de toutes sortes, avec diverses et importantes remises de prix de partenaires comme RFI ou la SACD, etc. Un miracle encore plus palpable cette année où l’on peut se rendre compte que tout est parfaitement bouclé et géré dans une calme souplesse. Alors oui on peut qualifier Hassane Kassi Kouyaté (avec son équipe) de faiseur de miracle, lui dont on aimerait bien revoir le travail de metteur en scène…
Parmi les réussites de la programmation on notera l’intelligente façon qu’aura eu l’équipe du festival de marier le grand et le petit. Autrement dit de parvenir à rendre complémentaires les petites formes comme celle des « contes du zèbre » qui ne dépassent jamais l’heure et quart sous la tente caïdale (ou Makhzen) et qui sont de véritables et souvent réussis points de respiration, comme le fut la prestation du congolais Dan Bossembo Alonga avant de nous retrouver devant l’un des créations « maison », c’est-à-dire une authentique et ambitieuse proposition signée Éric Delphin Kwégoué, À cœur ouvert qui avait été lu lors des Zébrures de printemps. Éric Delphin Kwégoué avait obtenu le prix RFI en 2023.
On retrouve ici l’application de la juste appellation de l’écriture à la scène : la mission, que se sont assignées les Zébrures trouve ici tout son sens. On aura eu le même cheminement avec le très prometteur Je suis blanc et je vous merde de Sœuf Elbasawi dont la lecture se situait déjà davantage vers une sorte d’intéressante mise en espace et qui est programmé pour cette édition des Zébrures d’automne.
Pour en revenir au travail d’Éric Delphin Kwégoué, celui-ci aura eu à se débattre avec l’auteur qu’il est pour son premier travail de mise en scène, aidé dans cette tache par Alice Carré à la dramaturgie ! Pas tout à fait évident pour restituer – avec peu de moyens – la force et la violence du texte qui entend, à travers une intrigue digne d’un authentique polar politique, mettre au jour les dysfonctionnements ou plutôt les sombres manigances d’un État toujours aux abois et qui, de ce fait, refuse toute liberté d’expression et s’enfonce dans la violence. Le texte de la pièce prend appui sur les tortures et l’assassinat en 2023 du journaliste camerounais, Martinez Zogo… et fait mouche, mais pas sûr que le pari scénique – c’est en la matière la première réalisation scénique de l’auteur – soit tout à fait réussi, car il y faut aussi une distribution hors pair qui prendra peut-être ses marques au fur et à mesure des futures représentations, si celles-ci, ce que l’on souhaite, sont nombreuses.
La grande affaire de la première partie du festival aura été la représentation (le terme en l’occurrence semble inadéquat, en tout cas trop étroit pour définir ce que l’on aura vu et vécu sur la grande scène de l’Opéra) concoctée par le chorégraphe ivoirien Massidi Adiatou, déjà mis à contribution en ouverture des Zébrures avec un défilé dont les participants investirent les rues de Limoges. Avec Massidi Adiatou et ses quinze danseurs et danseuses, sur la scène de l’Opéra de Limoges, nous auront été invités à descendre « à la rue Princesse », avec une argumentation qui est plus un prétexte à déferlement de vie – nous sommes en 2030 dans les rues d’Abidjan dans un des lieux emblématiques de la vie nocturne qui avait été détruit en 2011 sous la présidence d’Alassane Ouattara – que l’on aura vite oubliée pour laisser place à l’explosion de vie d’une nouvelle utopie. Une formidable revanche, en même temps qu’un pied de nez aux très dépressifs spectacles donnés dans la capitale.
Comment retourner sur terre après un tel moment ? Peut-être en se tournant vers un petit spectacle comme Bois des marionnettistes Québécois Csaba Raduly et Pavla Mano. Un spectacle enchanteur destiné aux enfants que les Zébrures n’oublient jamais et qui ont été donnés dans un théâtre (l’Espace Noriac) qui subsiste encore sur la ville. Ou encore vers les Baladins (belges) du miroir dans un spectacle, Soudain la pierre, une variation autour du facteur Cheval ! Comme quoi les Zébrures parviendront toujours à nous prendre à revers et à nous surprendre !
Photo : © Serge Hivert pour A cœur ouvert