Aux sources du théâtre
Festival du Moulin de l’Hydre, spectacles présentés les 6 et 7 septembre à Saint-Pierre d’Entremont.
Le festival du Moulin de l’Hydre situé à la lisière de la petite commune de Saint-Pierre d’Entremont n’en est qu’à sa troisième édition, et déjà il commence à devenir auprès des amoureux du spectacle vivant quasiment incontournable. Durant deux jours les spectateurs vont vivre à un rythme soutenu de six propositions artistiques qui outrepassent allègrement le seul théâtre dramatique – tout de même noyau de l’offre, avec Simon Falguières en maître de cérémonie et personne invitante –. Rythme soutenu sans doute, et pourtant tout se passe, malgré les éléments climatiques souvent hostiles en cette période de transition entre l’été et l’automne – avec une certaine décontraction, voire avec légèreté. Pendant deux jours donc, une communauté ouverte vient vivre ici une singulière et très forte expérience – donner vie à une authentique utopie en milieu rural – et profite ainsi du travail effectué au Moulin même et dans la région durant toute l’année par la compagnie K. de Simon Falguières avec l’association des Bernards l’Hermite. C’est la singularité de ce festival de ne pas éclore ainsi – d’être mis en lumière en cette période de l’année – mais d’être tout naturellement inclus dans un projet et un travail de longue haleine tissés dans toute la région. Si ce festival qui se passe au cœur d’un lieu composé d’une usine désaffectée (une ancienne filature du 19e siècle) d’un moulin, au bord du Noiraud, transformé en maison d’habitation, connaît une telle ferveur c’est que tout s’y déroule « autrement ». On y vient en « ami », festivalier sac au dos pour camper sur le lieu juste derrière l’espace consacré à des formes transdisciplinaires ne nécessitant pas forcément de scène construite (cirque ou rue – encore que ces appellations sont bien improbables au vu des spectacles proposés cette année – comme Sillages de Léo Ricordel et Quentin Beaufils, ou encore Incroyable… de Mélina Despretz), et sauf à loger chez l’habitant (ce qui est le cas, maire et adjoint donnant l’exemple de ce type d’accueil), il n’est, pour l’heure, pas évident de trouver où se poser à proximité du lieu de la manifestation hormis l’espace où l’on peut camper. À cette population particulière viennent bien sûr tout naturellement se mêler les habitants des communes voisines, tout cela dans une belle entente gérée par une armée de bénévoles (là encore maire de Saint-Pierre-d’Entremont en tête)…
D’une année à l’autre l’organisation va de pair (et est d’une parfaite visibilité) avec l’avancement des travaux, car c’est bien aussi de cela dont il est question depuis que l’idée notamment de la transformation de l’usine en un théâtre ouvert sur la nature comme à Bussang dont l’exemple est clairement revendiqué. D’ailleurs au plan des futures créations théâtrales, Simon Falguières a déjà prévu, pour 2026, de monter Peer Gynt d’Ibsen mêlant amateurs et professionnels (comme à Bussang donc), puis de récidiver avec la préparation d’un cycle historique Shakespeare précédé de 10 week end de stages avant la création du spectacle, en 2028 probablement. Et ce ne sont là que quelques brefs échantillons d’un parcours d’ores et déjà balisé. 2028 voyant la fin des travaux et l’inauguration de la Fabrique théâtrale.
On le voit, tout est parfaitement prévu et réglé jusqu’à l’ouverture attendue du théâtre qui permettra de se protéger des intempéries que subit ce que l’on pourrait appeler la cour d’honneur du Moulin de l’Hydre ouverte à tous les vents mais si emblématique et où, jauge de la salle pleine, on put enfin apprécier la création phare de cette 3e édition, à savoir Molière et ses masques, écrit et réalisé par Simon Falguières, une « farce rêvée sur la vie et la mort de Molière » comme précise le sous-titre. Un spectacle de tréteaux avec juste quelques praticables en guise de scène toute de blanc recouverte et deux rideaux de la même tonalité en guise de « décor ». À peine installé et déjà prêt à reprendre la route, car telle est bien la finalité de la proposition : en 1 heure 15 de temps, faire rire sous l’égide du grand Molière dont tout le monde connaît au moins le nom et peut-être quelques répliques ou situations entendues ou entrevues à l’école, tout en magnifiant l’art théâtral à l’adresse de tous et dans ce qu’il a de plus populaire. Autant le dire d’emblée : la proposition de Simon Falguières et de sa petite troupe de six interprètes (trois hommes et trois femmes) réunie pour l’occasion. Une troupe prête à prendre la route – et qui la prendra effectivement – à travers les villages normands et qui devrait aboutir, à pied et en carriole à partir du Moulin de l’Hydre à la Comédie de Caen, 65 kilomètres plus loin… Une autre utopie ? Avec un retour en forme de clin d’œil aux origines du théâtre ?
L’affaire est d’autant plus probante que le spectacle (la toute première au Moulin : tout un symbole) est d’une parfaite et fort réjouissante réussite. À six donc (Antonin Chalon, Louis de Villers, Anne Duverneuil, Charly Fournier, Victoire Goupil, Manon Rey), ils prennent donc à bras le corps, avec une énergie, une drôlerie confinant à la bouffonnerie toujours maîtrisée, les mille et une étapes de la vie théâtrale « aventureuse » et presque mythique désormais de Molière. Entre mythe et réalité donc, tout y passe, la vie de troupe bien sûr, les relations avec les grands du monde d’alors, du prince de Conti à Louis XIV lui-même, les intrigues et autres péripéties intimes et collectives. Autour de Molière interprété par Anne Duverneuil, la seule à assumer un unique rôle, virevoltent ses camarades de plateau dont le seul masque (et quelques éléments vestimentaires signés Lucile Charvet) indique le changement de rôle, le tout au son d’un accompagnement musical signé Simon Falguières, Manon Rey, Antonin Chalon et Charly Fournier : un authentique travail d’équipe. Et une gageure réalisée à partir du texte de Simon Falguières qui s’attaque avec un plaisir manifeste et à une réussite non moins manifeste à un registre purement comique, le tout en 75 minutes pour évoquer la vie et le parcours du parangon de l’homme de théâtre qu’est Molière. Le prodige demeurant dans le fait que, d’une certaine manière, c’est aussi de notre présent théâtral dont il est intelligemment question.
Photo : © bureau nomade